Harut Sassounian.La Russie & la Turquie isolent l’Arménie, tandis que les manifestants veulent un nouveau gouvernement


Harut Sassounian.La Russie & la Turquie isolent l’Arménie, tandis que les manifestants veulent un nouveau gouvernement

  • 23-08-2016 12:12:55   | USA  |  Articles et analyses

Cet article va tenter d’expliquer les raisons du rapprochement soudain entre la Russie et la Turquie, qui accueillent également dans leur giron l’Azerbaïdjan et éventuellement l’Iran, tandis qu’une confrontation importante avait lieu à Erevan entre un groupe d’opposition armé et la police. 
 
Ayant mis de côté leur différend concernant l’avion militaire russe abattu par la Turquie près de la frontière syrienne l’année dernière, Moscou et Ankara ont désormais établi un « mariage de convenance » découlant de ce qu’ils perçoivent comme étant leurs intérêts nationaux mutuels. Cette décision pragmatique des présidents de la Russie et de la Turquie a comme objectif de maximiser leurs bénéfices économiques et de coordonner leur politique étrangère, ce qui leur permettra de résister aux pressions de l’Occident. 
 
La Russie souffre d’une économie défaillante, la cause principale en étant les sanctions occidentales imposées après son annexion de l’Ukraine et de la Crimée. La Turquie, d’un autre côté, et bien qu’elle fasse partie de l’Otan et du Conseil de l’Europe, a été empêchée de rejoindre l’Union Européenne et accusée de soutenir Daech en Syrie. De plus, le président turc Erdogan est scandalisé du fait que de nombreux pays européens ont durement critiqué ses mesures sévères prises à l’encontre de ses opposants politiques après la tentative de coup le 15 juillet. Erdogan est également mécontent que les États-Unis n’aient pas extradé Fethullah Gülen, qu’il accuse d’être le cerveau du coup d’État militaire. 
 
Rejetant « l’ingérence occidentale injustifiée » dans leurs affaires intérieures et étrangères, la Russie et la Turquie ont décidé de poser les bases d’une nouvelle alliance qui les sortira de leur isolement de l’Occident. Pour parvenir à cette fin, le président russe Poutine a rencontré le président de l’Azerbaïdjan Aliyev et le président iranien Rouhani à Bakou le 8 août, ainsi que le président turc Erdogan à Saint-Pétersbourg le 9 août. Ces quatre pays ont signé une série d’accords économiques importants et ont discuté des grands problèmes politiques qui affectent la région, y compris le conflit de l’Artsakh (Karabagh). Le jour suivant, Poutine a rencontré le président arménien Sarkissian à Moscou pour l’informer des résultats de ses réunions précédentes.
 
Si le rapprochement de la Russie avec les ennemis jurés de l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Turquie, pourrait mener à des pressions sur le président Sarkissian pour qu’il fasse des concessions territoriales sur l’Artsakh, cela pourrait aussi réduire la possibilité d’une action militaire unilatérale de l’Azerbaïdjan contre l’Artsakh, sans l’accord du président Poutine. Personne ne serait surpris si ce nouvel alignement de l’Azerbaïdjan, la Russie et la Turquie relançait aussi les défunts protocoles Arménie-Turquie de 2009, ce qui entraînerait la réouverture de leur frontière mutuelle, combinée à une « mesure de conciliation » de la part de l’Arménie sur l’Artsakh. 
 
Aujourd’hui, les dirigeants astucieux de la Turquie suivent les pas de leurs prédécesseurs ottomans qui ont habilement monté une grande puissance européenne contre les autres pendant des décennies, pour ensuite faire volte-face quand cela leur convenait. Il est incroyable qu’Erdogan se rapproche de la Russie tout en restant membre de l’OTAN, car de ce fait il bénéficie des avantages des deux côtés. Les États-Unis et les autres pays de l’OTAN ne devraient pas se laisser prendre à cette supercherie turque. Ils devraient avertir Erdogan en termes très clairs qu’il doit choisir entre l’OTAN et la Russie ! Si le président turc continue à prendre le parti de la Russie, il pourrait bien se retrouver les mains vides quand son alliance avec le Kremlin s’effondrera ! 
 
Alors que des nuages sombres s’amoncellent au-dessus de l’Arménie et de l’Artsakh, les Arméniens se sont occupés de régler leurs conflits internes. La prise d’assaut d’un commissariat de police le 17 juillet à Erevan par un groupe de 31 hommes armés, qui étaient des vétérans de la guerre de l’Artsakh, ont généré une grande inquiétude parmi les Arméniens du pays et du monde entier. Le groupe, dont le surnom est Sasna Dsrer (Les enragés de Sassoun), a exigé la démission de Sarkissian, la libération des prisonniers politiques, la formation d’un gouvernement d’intérim et de nouvelles élections. 
 
Après deux semaines d’impasse – trois policiers tués, plusieurs hommes armés blessés et de nombreux manifestants blessés ou arrêtés, y compris des journalistes – les membres restant de Sasna Dsrer se sont rendus. Des centaines, parfois des milliers de manifestants ont organisé des rassemblements nuit après nuit pour exprimer leur soutien aux exigences du groupe de vétérans. 
 
Les véritables racines de cette confrontation tragique remontent aux premiers jours de l’indépendance de l’Arménie. Il y a eu de la colère et de la frustration refoulée parmi de grands segments de la population pendant vingt-cinq ans et au cours de cette période plus d’un million d’Arméniens ont quitté le pays pour pouvoir assurer les besoins vitaux de leur famille. Ceux qui sont restés ont souffert de nombreuses privations et d’inégalités, y compris la corruption, des élections frauduleuses, une justice inéquitable, des fonctionnaires indifférents et des oligarques qui exercent leur monopole ! 
 
Par conséquent, la plupart des citoyens arméniens ont perdu confiance dans leur gouvernement. Bien que l’attaque armée d’un commissariat ne soit pas une forme acceptable de contestation, lorsque les gens sont dans une situation désespérée pendant une longue période et qu’ils ne voient plus d’autre option pour obtenir le règlement de leurs griefs, ils sont obligés de recourir à des mesures extrêmes. 
 
Si une telle dissension interne peut mettre en danger la sécurité de l’Arménie et de l’Artsakh, les manifestants sont persuadés qu’avoir des dirigeants insensibles présente un risque encore plus grand. Paradoxalement, tous ceux qui s’opposent à une possible restitution à l’Azerbaïdjan de la zone tampon entourant l’Artsakh ont contribué à renforcer la position du président Sarkissian qui a fait valoir à Poutine que la population arménienne s’opposait avec véhémence à toute concession territoriale sur l’Artsakh. 
 
Si les responsables gouvernementaux souhaitent prévenir de nouveaux troubles domestiques, ils doivent prendre toutes les mesures nécessaires montrant qu’ils se soucient véritablement du bien-être des Arméniens. Pour cela, le président Sarkissian a récemment promis d’effectuer des changements drastiques, y compris la formation d’un « gouvernement d’union ». On comprend aisément que de nombreux citoyens restent sceptiques, car ils ont entendu des promesses similaires non tenues dans le passé. 
 
L’élection d’un nouveau Parlement est prévue en 2017 et un nouveau président doit être sélectionné parmi les membres du Parlement en 2018. Si les prochaines élections ne sont pas équitables et ne représentent pas les divers segments de la population, il pourrait y avoir davantage de troubles encore plus graves. La responsabilité d’élections plus libres n’incombe pas uniquement aux responsables gouvernementaux, mais également aux électeurs qui vendent leurs votes ! 
 
Un gouvernement élu démocratiquement est le seul moyen de gagner la confiance du peuple, non seulement pour le gouverner équitablement, mais aussi pour gérer les relations étrangères du pays, y compris les négociations sur l’Artsakh. Actuellement, on doute fort que ce qui se négocie en coulisses à Moscou ou ailleurs prenne en compte les intérêts de la nation arménienne. 
 
Pour sortir de cette isolation géostratégique précaire nouvellement imposée, les autorités de l’Arménie et de l’Artsakh doivent imiter la tactique turque de longue date qui est de « diviser et conquérir », chercher des occasions de monter la Russie contre la Turquie et l’Azerbaïdjan, sapant ainsi un possible consensus entre l’Azerbaïdjan, l’Iran, la Russie et la Turquie sur le conflit de l’Artsakh! 
 
 
De Harut Sassounian 
The California Courier 
 
 
 
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