Harut Sassounian. Résolution sur le génocide : une grande victoire, mais des faits ne doivent pas être ignorés


Harut Sassounian. Résolution sur le génocide : une grande victoire, mais des faits ne doivent pas être ignorés

  • 11-11-2019 13:43:16   | USA  |  Articles et analyses

Le 29 octobre 2019, les Arméniens américains ont remporté une grande victoire dans l’enceinte du Congrès américain. Pour la première fois depuis 35 ans, la Chambre des Représentants a adopté la Résolution 296 réaffirmant les faits du génocide arménien.
 
J’utilise le verbe ‘réaffirmer’, parce que contrairement à ce que disent de nombreux commentateurs arméniens ou non-arméniens, ce n’est pas la première fois que les États-Unis reconnaissent le génocide arménien. De fait, c’est la cinquième reconnaissance gouvernementale. Comme je l’ai rapporté des dizaines de fois ces dernières années, le gouvernement des États-Unis a reconnu le génocide arménien pour la première fois en 1951, quand il a envoyé un document officiel à la Cour internationale de justice (Cour mondiale) présentant le génocide arménien comme un exemple de génocide. La Chambre des Représentants des États-Unis a reconnu le génocide arménien dans deux résolutions adoptées en 1975 et en 1984, et le président Reagan a émis une proclamation présidentielle le 22 avril 1981 mentionnant le génocide arménien. Parmi les inexactitudes mentionnées par divers commentateurs, on trouve les déclarations suivantes :
 
1. « La reconnaissance du génocide arménien par la Chambre des Représentants américaine le 29 octobre 2019 est la première en un siècle aux États-Unis. » Ce n’est pas le cas ! De fait, le texte même de la Résolution 296 énumère toutes les reconnaissances américaines précédentes du génocide arménien et décrit sa réaffirmation, et non sa reconnaissance.
 
2. « La Résolution 296 a établi une politique sur la reconnaissance du génocide arménien par le gouvernement américain. » Elle ne fait pas ça. Cette résolution, comme les précédentes, est une résolution non contraignante, exprimant simplement la volonté du Congrès. Ce n’est pas une loi et elle n’a aucune conséquence juridique.
 
3. « La Résolution 296 oblige le président Trump à utiliser le terme génocide dans sa prochaine déclaration le 24 avril. » Pas du tout. Le président peut toujours utiliser des euphémismes pour décrire le génocide arménien, s’il le souhaite, comme lui et d’autres présidents américains l’ont fait depuis le président Reagan.
 
4. « La Résolution 296 permettra aux Arméniens d’intenter des procès contre la Turquie devant des cours américaines et d’exiger des dommages et intérêts pour les pertes subies pendant le génocide. » Ce n’est pas vrai. Comme je le mentionnais ci-dessus, deux résolutions similaires ont été adoptées en 1975 et en 1984 et ni l’une ni l’autre n’a aidé les Arméniens à gagner un seul procès contre la Turquie devant des cours américaines.
 
5. « Après l’adoption de la Résolution 296, si le Sénat américain adopte la résolution qui est sa contrepartie (Résolution 150 du Sénat), et si le président Trump la signe, alors la résolution deviendra une loi. » Ce n’est pas vrai, puisque les deux versions, de la Chambre et du Sénat, sont des résolutions ‘autonomes’. Si la version du Sénat était aussi adoptée, la résolution ne sera pas présentée au président Trump pour qu’il la signe, car les versions de la Chambre et du Sénat n’ont pas été soumises en tant que ‘résolutions conjointes’.
 
Néanmoins, aucune des clarifications ci-dessus mentionnées ne minimise la valeur de l’adoption de la Résolution 296 le 29 octobre 2019. Voici les raisons expliquant pourquoi cette résolution est une grande victoire pour la cause arménienne :
 
1. Après avoir essayé pendant 35 ans de faire adopter une résolution sur le génocide à la Chambre des Représentants, c’est un grand succès pour la communauté arménienne d’avoir enfin remporté cette victoire. Il n’est pas possible de continuer à demander que le public arménien soutienne une cause pendant des décennies sans avoir un résultat concret de temps en temps. Cette victoire va inciter les Arméniens américains à continuer à s’engager dans la cause arménienne et à travailler encore plus dur pour obtenir des résultats encore plus importants.
 
2. Si l’adoption de la Résolution 296 ne contraint en rien le président des États-Unis, elle accroît la pression sur lui pour qu’il reconnaisse correctement le génocide arménien dans sa déclaration du 24 avril.
 
3. La Résolution 296 rend plus difficile pour le gouvernement turc de continuer à nier le génocide arménien.
 
4. Paradoxalement, les réactions hostiles des dirigeants turcs à l’encontre de la résolution ont permis de rappeler le génocide arménien au peuple turc et à d’autres.
 
5. Des milliers d’articles, de reportages télévisés, et des messages postés sur les réseaux sociaux sur l’adoption de la Résolution 296 ont aussi aidé à remettre en lumière le génocide arménien partout dans le monde. Plus de 100 ans après le génocide arménien, le cri pour la justice reste vivant, grâce aux militants arméniens et à leurs partisans.
 
6. L’adoption de la Résolution 296 est une autre étape dans la lutte que mène l’Arménie pour faire pression sur la Turquie et la communauté internationale, afin que d’autres mesures soient prises pour réparer le tort causé par le génocide arménien, bien qu’avec un siècle de retard !
 
7. Au-delà du fait qu’il rétablisse les faits historiques, l’effort en faveur de l’adoption de la résolution sur le génocide est une bataille politique entre, d’un côté, la communauté arménienne américaine, et de l’autre, le gouvernement turc et ses lobbyistes rémunérés, pour déterminer qui a le plus d'influence politique à Washington. La victoire écrasante (405 pour, 11 voix contre) est une indication claire de la défaite écrasante de la Turquie et de la victoire totale des Arméniens.
 
8. Le gouvernement turc a gaspillé des dizaines de millions de dollars au fil des ans pour engager de grandes agences américaines de lobbying, dans le but, raté, de bloquer l’adoption d’une résolution sur le génocide arménien par le Congrès américain. Il est impossible de donner une fausse image du génocide en tant qu’acte commis par des humains, peu importe le nombre de milliards de dollars que la Turquie verse aux lobbyistes !
 
9. La défaite de la Turquie envoie aussi un message à l’opinion publique turque : les impôts qu’elle paie sont gaspillés par son gouvernement pour nier ce qui est indéniable.
 
10. Certains ont invoqué l’excuse que le Congrès a profité des relations aigries entre la Turquie et les États-Unis pour adopter la Résolution 296. Si cela est vrai, il existe plusieurs contre-arguments :
 
a) Le Congrès est un corps politique ; par conséquent, toutes ses délibérations et ses décisions sont de nature politique ;
 
b) Sans les efforts assidus des organisations arméniennes-américaines et de la communauté arménienne, rien n’aurait pu garantir que la résolution soit mise à l’ordre du jour de la Chambre des Représentants. Étant donné que le Congrès américain était mécontent de l’invasion turque du Nord de la Syrie, la Chambre des Représentants se serait satisfaite d’adopter simplement une résolution le 29 octobre 2019, imposant des sanctions à la Turquie pour ses attaques barbares contre les Kurdes. Cependant, en raison du militantisme arménien, la Chambre a aussi adopté le même jour la résolution sur le génocide arménien.
 
c) On ne peut pas être naïfs au point de croire que tout gouvernement défendrait la cause arménienne sachant que cela nuirait à ses propres intérêts. Il est tout à fait sensé que la condamnation du génocide arménien coïncide avec la colère du Congrès envers la Turquie pour d’autres raisons. De fait, plus les Arméniens trouveront des raisons correspondant aux intérêts d’autres pays, plus ils auront du succès dans leur engagement pour la cause arménienne.
 
Comme prochaine étape, j’espère que le Sénat adoptera rapidement la résolution sénatoriale 150. C’est important, car le Sénat américain n’a jamais adopté une résolution reconnaissant le génocide arménien. Et peut-être que l’an prochain, la résolution sur le génocide arménien pourra être réintroduite, mais cette fois en tant que ‘résolution conjointe’, ce qui signifie que si la résolution était adoptée par les deux Chambres et si le président la signait, le génocide arménien deviendrait une loi américaine, et non pas une simple résolution non-contraignante. Cela obligerait tous les futurs présidents à utiliser le terme de génocide arménien dans leurs déclarations du 24 avril, ou dans d’autres occasions.
 
De Harut Sassounian
The California Courier
 
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