Harut Sassounian. Les réflexions d’un juste turc : l’Allemagne peut-elle être un modèle pour la Turquie ?


Harut Sassounian. Les réflexions d’un juste turc : l’Allemagne peut-elle être un modèle pour la Turquie ?

  • 19-12-2012 08:00:51   | USA  |  Articles et analyses

S’il était possible de cloner le remarquable commentateur turc Orhan Kemal Cengiz et faire de multiples copies de son cœur généreux et de sa juste conscience, le gouvernement turc serait alors capable de trouver une solution aux demandes arméniennes faites à la Turquie, de manière juste et humaine. 

Cengiz s’est récemment rendu en Allemagne avec un groupe de journalistes et de militants turcs des droits de l’homme, à l’invitation de l’Académie européenne de Berlin, qui bénéficiait du soutien financier du Ministère allemand des Affaires étrangères. Les visiteurs turcs ont participé à une conférence intitulée « Le difficile héritage du passé », traitant de la façon dont les Allemands font face aujourd’hui aux crimes commis par les nazis. 
De retour en Turquie, Cengiz a écrit deux articles pertinents publiés dans le quotidien Today’s Zaman : L’Allemagne peut-elle être un modèle pour la Turquie dans la confrontation avec les atrocités du passé ? et Les atrocités du passé de la Turquie et de l’Allemagne. 
Cengiz avoue qu’avant sa visite, il pensait que « les Allemands avaient été forcés de regarder leur passé perturbant par les puissances extérieures qui les avaient mis à genoux après la Seconde Guerre mondiale. » Il se demande si l’Allemagne pourrait servir de modèle à des pays qui voudraient affronter leur passé volontairement. À sa surprise, le chroniqueur turc a découvert que si les Allemands ont commencé à se confronter à leur passé après une défaite dévastatrice, ils étaient aussi déterminés à créer un nouveau pays « basé sur un processus infini de souvenir, de commémoration et de confrontation avec le passé. » 
Ce juste auteur turc a été « extrêmement impressionné et touché » à la vue d’un mur de brique dans un jardin d’enfants de Berlin. Chaque année, les professeurs demandent aux enfants de s’identifier aux juifs qui ont un jour vécu dans le quartier avant d’être tués par les Nazis. Les étudiants écrivent alors les noms juifs sur les briques et les empilent les unes sur les autres pour former un mur. Il lui est apparu clairement que « le souvenir fait partie de la vie quotidienne en Allemagne. » 
Cengiz espère qu’un jour, « des enfants turcs feront une chose similaire. J’ai imaginé des enfants à Istanbul construisant un mur, en écrivant sur des briques les noms des intellectuels arméniens qui ont été emmenés de chez eux le 24 avril 1915 et ne sont jamais revenus. » Il est persuadé « qu’affronter le passé est une politique d’État manifeste ici, en Allemagne. Les musées, les expositions et le programme d’enseignement scolaire, tout concourt à démontrer comment l’appareil étatique investit dans cette entreprise. Ainsi, petit à petit, j’ai commencé à me rendre compte que la Turquie peut significativement profiter de l’expérience allemande sur ce terrain difficile de la confrontation au passé. » 
Dans son deuxième article, Cengiz décrit courageusement les 19e et 20e siècles comme « les siècles du génocide », incluant le génocide arménien. Il explique que, contrairement aux crimes massifs commis par d’autres nations, ceux perpétrés par les Allemands et les Turcs ont visé « des voisins avec qui ils avaient vécu côte à côte pendant des siècles. Je pense que ce seul fait est l’élément le plus distinctif des exemples allemand et turc. …Quand vous tuez vos voisins, cela crée un trou noir, un vide dans votre identité nationale. » 
Dans cette recherche d’imitation de l’expérience allemande, Cengiz espère qu’il verra des mémoriaux érigés en Turquie pour « les massacres des Arméniens, les pogroms ciblant les juifs et les Grecs, les massacres ciblant les Alevis et d’autres. Quand la Turquie commencera à se souvenir et à commémorer les atrocités passées, le Musée de la topographie de la terreur, construit sur un ancien quartier général nazi, le Musée juif de Berlin et d’autres encore, pourraient être de bons exemples à suivre… La Turquie a beaucoup à apprendre de l’Allemagne en ce qui concerne la confrontation avec les atrocités passées. » 
Si la reconnaissance par la Turquie du génocide arménien aurait dû intervenir depuis bien longtemps, le processus actuel de réconciliation pourrait commencer en enlevant les noms des organisateurs turcs du génocide arménien, des écoles, des rues et des places publiques partout en Turquie. Le gouvernement turc devrait aussi démonter le mausolée honteux élevé à Talaat à Istanbul et le remplacer par un monument consacré au génocide arménien. Il devrait également verser des milliards de dollars de compensation aux descendants des victimes arméniennes, sur le modèle des paiements allemands aux juifs. Plus important encore, la Turquie devrait rendre aux Arméniens les territoires occupés de l’Arménie Occidentale ! 
L’Allemagne aussi, en tant que proche alliée de la Turquie pendant la Première Guerre mondiale, a une obligation envers les Arméniens : la reconnaissance de son rôle dans le génocide arménien. Elle devrait présenter des excuses et dédommager le peuple arménien. Ce n’est qu’alors que les Allemands mériteront vraiment les éloges dont n’a pas tari Orhan Cengiz à leur propos, pour avoir honnêtement fait face à leur passé. 
Si le précédent génocidaire de la Turquie a servi de modèle à l’Allemagne nazie dans la réalisation de l’holocauste, c’est désormais au tour de l’Allemagne de devenir un modèle à imiter en Turquie, afin qu’elle se réconcilie avec son passé génocidaire. 
 
 
De : Harut Sassounian 
Éditeur de : The California Courier 
Éditorial de Sassounian du 13 décembre 2012 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 13 décembre 2012 – www.collectifvan.org
 
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