Harut Sassounian. Obama exploite le désir insatiable de flatterie des dirigeants turcs

Harut Sassounian. Obama exploite le désir insatiable de flatterie des dirigeants turcs

  • 16-01-2013 11:03:38   | USA  |  Articles et analyses

 

Si les dirigeants politiques gonflent souvent leurs résultats et se vantent de la supériorité de leur nation, de telles affirmations deviennent absurdes lorsqu’elles sont très éloignées de la réalité et frôlent le chauvinisme et le narcissisme. 
 
Lorsque des dirigeants cultivent un sens exagéré de leur propre importance, ils peuvent être facilement manipulés par d’autres qui exploitent leur appétit insatiable pour la flatterie. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est l’un des hauts responsables turcs qui peut souffrir de ce défaut de caractère. 
 
Les médias turcs ont largement couvert un article du Los Angeles Times, rapportant que « Le président Obama a passé plus d’appels téléphoniques à Erdogan qu’à tout autre dirigeant mondial, excepté le Premier ministre britannique, David Cameron. » Quand ils se sont rencontrés aux Nations Unies à New York, le président Obama a passé avec Erdogan « plus de temps qu’avec tout autre dirigeant mondial », pendant presque deux heures. Le président des USA aurait loué le Premier ministre turc qui fait preuve « d’une grande gouvernance. » Le L.A. Times a tout particulièrement fait remarquer qu’Obama a même « recouru à la flatterie » en téléphonant par la suite à Erdogan « pour s’extasier sur un tournoi de basket-ball turc. » 
 
Le journal turc, Today’s Zaman, a publié un autre article soulignant la relation étroite qu’entretiennent les deux dirigeants : « Les conversations téléphoniques d’Obama et d’Erdogan révèlent l’ascension de la Turquie. » Une photo illustrait l’article, représentant les leaders américain et turc se serrant la main, tout en faisant de grands sourires. 
 
Bien que le Premier ministre Erdogan ne voie pas d’un bon œil toute personne qui écrit des mots peu flatteurs à son propos, et qu’il poursuit fréquemment en justice les journalistes osant critiquer sa politique, l’éminent journaliste turc Semih Idiz s’est exposé la semaine dernière aux risques d’un emprisonnement en écrivant un article dans Al-Monitor, intitulé : « Erdogan aspire-t-il à être un sultan moderne ? » Idiz souligne que le Premier ministre a « des tendances à l’autoritarisme et manque de tolérance envers toute critique, particulièrement celle d’une presse libre. » 
 
Le journaliste turc décrit en détail les plans d’Erdogan de se présenter à la présidence en août 2014, mais pas avant l’élaboration d’une nouvelle constitution qui transformerait le poste cérémonial actuel du chef d’État en « une présidence exécutive » qui ne serait pas « entravé par un système de contrôles et de contrepoids. » S’il était élu président, Erdogan aurait « le pouvoir de dissoudre le Parlement, de gouverner par décret et de nommer des ministres gouvernementaux, des bureaucrates de haut rang et des juristes, sans l’approbation du Parlement. » 
 
Ce n’est pas un hasard si Erdogan a récemment déclaré aux journalistes turcs que le système présidentiel américain, avec ses contrôles et ses contrepoids qui limitent le pouvoir du président, n’est pas approprié pour la Turquie : « Le président des USA ne peut pas nommer un ambassadeur, il ne peut pas même décider de la vente d’un hélicoptère. C’est pourquoi nous devrions créer un système présidentiel de style turc. » 
 
Le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, qui était un spécialiste sérieux, semble imiter son prétentieux Premier ministre. La semaine dernière, dans son introduction à la conférence annuelle des ambassadeurs turcs qui s’est tenue à Ankara, Davutoglu a fait une déclaration extrêmement arrogante, prétendant que la Turquie joue un rôle crucial dans les affaires du monde : « Étant donné que les puissances mondiales savent maintenant que l’histoire passe par Ankara, les parties qui ignorent Ankara ne peuvent pas comprendre l'histoire. Celui qui met à mal ses relations avec Ankara, courra des risques dans toutes les politiques régionales… Ceux qui veulent comprendre l’histoire doivent être présents à Ankara, à Istanbul et partout ailleurs en Turquie, parce que dorénavant, nous serons plus activement présents dans l’élaboration du cours de l’histoire. » 
 
Ces paroles absurdes sont prononcées par un ministre des Affaires étrangères qui avait assumé son poste actuel en déclarant pompeusement que son pays poursuivait une politique « de zéro problème avec les voisins. » La dure réalité est que la Turquie n’a maintenant presque aucun voisin avec qui elle n’a pas de problèmes ! En effet, Ankara a des graves conflits avec l’Arménie voisine, Chypre, la Grèce, l’Iran, l’Irak et la Syrie ! 
 
Afin de ne pas se laisser distancer par ses collègues plus chevronnés, le controversé ministre turc des relations avec l’Union européenne, Egemen Bagis, a entamé la nouvelle année avec une liste toute fraîche de déclarations bizarres : « Aujourd’hui, il n’y a pas un gouvernement en Europe qui soit plus réformateur que notre gouvernement. Alors que les pays de l’Union européenne se débattent dans la crise, notre pays vit la période la plus démocratique, prospère, moderne et transparente de son histoire. 'L’homme malade' d’hier s’est relevé et a rassemblé les forces pour prescrire des médicaments à l’Europe d’aujourd’hui… et pour partager le fardeau de l’UE plutôt que d’être un fardeau pour elle. » 
 
Le président Obama a découvert qu’il peut en obtenir davantage des leaders turcs avec du miel qu’avec du vinaigre, en exploitant leur désir insatiable d’éloges et de flatteries. Le problème est que de telles louanges ont transformé la Turquie en 'un enfant gâté', qui est devenu une sérieuse menace pour tout le voisinage ! 
 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 10 janvier 2013 – www.collectifvan.org
 
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