Harut Sassounian. Les derniers mots d’un expert sur la responsabilité juridique de la Turquie pour le génocide


Harut Sassounian. Les derniers mots d’un expert sur la responsabilité juridique de la Turquie pour le génocide

  • 24-09-2013 09:07:56   | USA  |  Articles et analyses

Le centenaire du génocide arménien approchant, il y a eu un intérêt croissant du public à engager des actions judiciaires contre la Turquie devant des cours internationales. 
 
L’un des experts éminents en ce domaine était le Dr. Yuri Barseghov, professeur en droit international, qui a écrit une multitude d’articles et de livres précurseurs sur les revendications arméniennes. Peu de temps avant sa mort en 2008, le professeur Barseghov de Moscou a présenté la base d’une action judiciaire contre la Turquie, dans un article intitulé : Voies et moyens pour imputer la responsabilité du génocide arménien. ("Ways and Means of Assigning Responsibility for the Armenian Genocide.") 
 
Le Dr. Barseghov maintenait qu’en 1920, « L’Empire ottoman a admis qu’il était responsable d’avoir commis ce crime » en signant le Traité de Sèvres, qui, malheureusement, n’a pas été ratifié en raison de la réticence des puissances alliées à faire pression sur la Turquie. Depuis lors, en dépit de la reconnaissance du génocide arménien par des dizaines de pays et d’organisations internationales, le professeur Barseghov pensait que ces reconnaissances « ne résoudraient pas le problème de la responsabilité [turque]. » 
 
Le professeur Barseghov avait avancé que « puisque la Turquie continue de refuser avec entêtement de reconnaître qu’elle a commis ce crime, il est toujours nécessaire de résoudre la question de la responsabilité du génocide arménien par le biais de corps internationaux compétents, en rendant ces décisions obligatoires pour les deux parties [Arménie et Turquie]. » 
 
Le Dr. Barseghov ne pensait pas que l’ONU était un cadre pratique pour résoudre la question du génocide arménien, car c’est une organisation hautement politisée. « Les décisions de l’Assemblée générale ne sont pas obligatoires » et de grandes puissances, tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne, jouissent du privilège du droit de veto au Conseil de Sécurité, bloquant ainsi toute action contre la Turquie. 
 
Le problème inhérent à l’ouverture d’une action en vertu de la loi de la Cour internationale de justice (CIJ) est que tant l’Arménie que la Turquie doit préalablement accepter de se plier aux décisions de la Cour. À ce jour, aucun des deux pays « n’a reconnu la juridiction contraignante de la Cour internationale de justice. » Étant donné que la Turquie n’acceptera probablement pas de se soumettre à une telle juridiction, le Dr. Barseghov a suggéré que la République d’Arménie, en tant qu’État souverain, mette à profit « cette opportunité unique » d’engager un procès unilatéral contre la Turquie sur sa responsabilité dans le génocide arménien, en vertu de l’article IX* de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. » 
 
Le Dr. Barseghov avait exprimé son regret de ne pas avoir reçu de réponse de la part du gouvernement arménien, après que l’Institut arménien de Droit international et de Science politique de l’Union des Arméniens de Russie – qu’il dirigeait – avait soumis quelques années auparavant une étude sur ce sujet au président Robert Kocharian et au ministre des Affaires étrangères, Vartan Oskanian. 
 
Le Dr. Barseghov avait expliqué « qu’afin d’entamer un procès en vertu de cette procédure judiciaire [Article IX], le gouvernement de l’Arménie devait formuler sa position sur les questions de l’interprétation, de l’application ou de l’exécution de la Convention sur la base de la question de la responsabilité de l’État turc pour le crime commis. » 
 
Le professeur Barseghov avait prévenu les responsables arméniens que : « Il existe une disposition dans le droit international qui est confirmée par la Cour internationale de justice dans d’autres affaires : si un État a la possibilité de soumettre un litige mais ne le fait pas, cela signifie que l’État accepte la situation existante. » 
 
Le Dr. Barseghov avait calmé les inquiétudes possibles des Arméniens vis-à-vis du fait que la CIJ puisse élever une objection à un tel procès en raison de questions concernant la rétroactivité de la Convention pour le génocide. Il a exprimé sa ferme conviction que la Convention s’applique au génocide arménien, bien qu’il ait précédé la Convention. Il a fait remarquer que la CIJ stipulait dans son avis consultatif de 1951 :« Les principes hérités de la Convention pour le génocide, contrairement aux obligations du traité qu’elle comprend, faisaient déjà partie du droit commun international à l’époque où ces horribles crimes ont été commis. » 
 
Le professeur Barseghov avait souligné que les arguments en faveur de la rétroactivité de la Convention avaient été avancés par la CIJ, qui avait donné par deux fois des explications exhaustives sur des questions fondamentales de l’applicabilité de la Convention, y compris sa rétroactivité également. Se basant sur ces décisions, le professeur Barseghov avait conclu : « La Convention s’applique aussi aux crimes commis dans le passé, dont les conséquences n’ont pas encore été éliminées. » 
 
Comme annoncé lors d’une conférence récente à Erevan, le gouvernement arménien a formé un groupe de travail pour préparer le dossier juridique d’un procès contre la Turquie devant des cours internationale. Le conseil avisé du professeur Barseghov et d’autres spécialistes devrait garantir que le procès sera bien préparé et présenté, afin que justice soit enfin rendue aux victimes du génocide arménien. 
 
NdT : *Article IX : Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d'une partie au différend. 
 
 
De : Harut Sassounian 
Éditeur de : The California Courier 
Éditorial de Sassounian du 19 septembre 2013 
 
 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 19 septembre 2013 –www.collectifvan.org
 
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