Harut Sassounian. La Cour européenne des droits de l’homme fournit davantage d’options pour poursuivre la Turquie en justice


Harut Sassounian. La Cour européenne des droits de l’homme fournit davantage d’options pour poursuivre la Turquie en justice

  • 12-10-2013 13:09:17   | USA  |  Articles et analyses
 
Si l’on parle fréquemment de faire aboutir les revendications arméniennes vis-à-vis de la Turquie, devant la Cour internationale de justice (Cour mondiale), la possibilité d’engager des procédures juridiques devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est rarement mentionnée, en dépit de ses avantages très nets. 
 
La différence clé entre les deux cours est que seuls des gouvernements peuvent intenter des procès auprès de la Cour mondiale, alors que tout individu, groupe ou État peut intenter des actions juridiques auprès de la CEDH, sachant que les Arméniens ont d’innombrables possibilités de faire des procès à l’État Turc. 
 
Ce n’est pas une coïncidence si la Turquie est en tête de la liste des pays poursuivis devant la CEDH, car si l’on prend ne serait-ce que ces deux dernières années et demi, plus de 20.000 procès ont été intentés contre ce pays. Contrairement à une croyance répandue, la Turquie n’a pas d’autre choix que de se conformer à tous les jugements de la CEDH, si elle veut maintenir sa position au Conseil de l’Europe. Ceci explique pourquoi le gouvernement d’Ankara a payé avec assiduité des dizaines de millions de dollars aux plaideurs après avoir perdu des centaines de jugements de la CEDH. 
 
Un bon exemple est le jugement de la CEDH en date du 1er octobre 2013 contre la Turquie, la Cour ayant accordé plus de 5 millions d’euros (environ 7 millions de dollars) à deux frères grecs, Ioannis Fokas et Evangelos Fokas, qui vivent à Katerini, en Grèce. Les cours turques les avaient empêchés d’hériter des immeubles de leur sœur, Polikseni Pistika, situés en Turquie, car les frères sont de nationalité grecque. 
 
Dans leur procès, les frères Fokas ont déclaré « qu’ils avaient été dépossédés de la propriété et de l’utilisation de trois biens immobiliers dans le quartier de Beyoglu à Istanbul, à savoir trois immeubles et des terrains, dont ils étaient en droit d’hériter de leur sœur. » Les biens expropriés consistaient en un immeuble de huit étages d’une valeur de 3,3 millions d’euros, d’un immeuble de six étages d’une valeur de 1,4 million d’euros et d’un immeuble de quatre étages d’une valeur de 400.000 euros, estimations faites par une agence immobilière d’Istanbul. 
 
La CEDH a estimé que « le refus des cours turques à reconnaître aux plaignants leur statut d’héritiers constituaient une ingérence dans leurs droits à jouir pacifiquement de leurs biens et qu’une telle ingérence était incompatible avec le principe de la légalité. …. Par conséquent, la reconnaissance de leur statut d’héritiers de Polikseni Pistika… les placerait dans la position dans laquelle ils auraient été si l’État [la Turquie] n’avaient pas exproprié les propriétés de la défunte. … Dans ces circonstances, allouer une compensation financière pour les pertes pécuniaires engendrées semble être la solution la plus juste et appropriée (voir Nacaryan et Deryan c. Turquie, no. 19558/02 et 27904/02, <<<<16-17, 8 janvier 2008). La Cour considère qu’un tel dédommagement correspond principalement au montant que les plaignants auraient légitimement été en droit d’attendre pour compenser la perte de leurs propriétés, s’il y avait eu un mécanisme pour réclamer ce dédommagement. » 
 
Selon le jugement ci-dessus, la Cour Européenne a accordé aux frères grecs, la somme de 5 millions d’euros pour leurs biens immobiliers expropriés, ainsi que pour compenser « leur angoisse et leur frustration, que les plaignants ont subi au cours des années où ils n’ont pas pu jouir de leurs propriétés. » La cour a ordonné au gouvernement turc de verser les dommages et intérêts aux plaignants dans un délai de trois mois. 
 
Dans le procès Nacaryan et Deryan c. Turquie, la CEDH a statué que les cours turques avaient aussi violé les droits de Yeran-Janet Nacaryan et Armen Deryan en affirmant qu’en tant que citoyens grecs, ils ne pouvaient pas hériter de leur parente défunte en Turquie « au motif que la condition de réciprocité entre la Grèce et la Turquie n’était pas remplie. » La CEDH a déclaré la Turquie coupable et a accordé aux plaignants grecs la somme de 500.000 euros. 
 
Lors de la conférence internationale des avocats arméniens qui a eu lieu à Erevan en juillet dernier, le président de la Cour constitutionnelle, Gagik Harutunyan, a annoncé la formation d’une commission d’experts pour étudier la validité juridique des poursuites judiciaires à l’encontre de la Turquie, dans le but de remédier aux pertes massives dues au génocide arménien. 
 
Étant donné que la CEDH fournit aux plaignants du Conseil de l’Europe davantage de possibilités que la Cour mondiale, la commission arménienne d’experts juridiques, récemment créée, devrait élargir les vues sur les possibilités d’intenter des procès à la Turquie devant la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que devant des cours nationales et internationales. 
 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
10 octobre 2013 
 
 
 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 10 octobre 2013 –www.collectifvan.org
 
  -   Articles et analyses