Harut Sassounian. L’offensive de charme de Davutoglu pendant sa visite en Arménie


Harut Sassounian. L’offensive de charme de Davutoglu pendant sa visite en Arménie

  • 25-12-2013 15:21:34   | USA  |  Articles et analyses

Ahmet Davutoglu, l’astucieux ministre turc des Affaires étrangères, a usé de toutes les ficelles diplomatiques possibles pour exploiter au maximum sa présence à Erevan, à l’occasion de la conférence de l’Organisation de coopération économique de la mer Noire (OCEMN) la semaine dernière. 
 
Davutoglu et son équipe diplomatique avaient d’abord lancé une campagne de désinformation en annonçant qu’il ne participerait peut-être pas à la conférence en raison d’autres engagements, donnant ainsi l’impression de ne pas être désireux de se rendre en Arménie. Ensuite, il avait posé comme condition à sa présence un résultat positif de la rencontre entre les présidents et les ministres des Affaires étrangères de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Pour tranquilliser le président de l’Azerbaïdjan, Aliyev, sur le fait que la Turquie se préoccupait des intérêts de son petit frère, le ministre turc des Affaires étrangères avait trompeusement averti la presse que l’Arménie avait accepté de se retirer de deux régions proches du Karabagh (Artsakh). 
 
En déclenchant son offensive de charme lors de son séjour à Erevan, la réelle intention du ministre des Affaires étrangères Davutoglu était d’anticiper la campagne mondiale prévue contre la Turquie lors du centenaire du génocide arménien en 2015. Il voulait que la communauté internationale soit impressionnée par la volonté de son pays de se réconcilier avec l’Arménie, tout en aidant à faire progresser l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. 
 
En réponse, les responsables arméniens ont fait tout ce qui était possible pour réduire le succès de l’offensive de charme de la Turquie. La stratégie de l’Arménie a consisté à limiter le séjour de Davutoglu à Erevan au cadre de la conférence de l’OCEMN, plutôt que de s’engager dans des relations arméno-turques bilatérales, et d’exclure toute discussion sur les protocoles arméno-turcs et le conflit de l’Artsakh. 
 
Il n’est par conséquent pas surprenant qu’il n’y ait pas eu de réunion entre le président de l’Arménie et le ministre des Affaires étrangères de la Turquie à Erevan. La seule rencontre officielle a été avec le ministre des Affaires étrangères de l’Arménie, Edouard Nalbandian, qui a également rencontré plusieurs participants de l’OCEMN, en tant qu’hôte de la conférence. 
 
Assurément, Davutoglu a été confronté à quelques obstacles pendant sa visite dans la capitale de l’Arménie. Il a dû entrer dans l’hôtel Marriott, où se tenait la conférence, par une porte arrière afin d’éviter de jeunes militants politiques venus protester contre sa visite. Entre-temps, Nalbandian a émis une série de déclarations laconiques, avant, pendant et après la conférence de l’OCEMN, prévenant la Turquie que l’Arménie n’accepterait aucune condition préalable, par exemple un retrait partiel de l’Artsakh, en échange de l’établissement de relations diplomatiques et de l’ouverture de la frontière entre l’Arménie et la Turquie. 
 
La position ferme de Nalbandian a obligé Davutoglu à reculer, craignant que son voyage en Arménie ne soit qualifié d’échec. Au risque de s’aliéner l’Azerbaïdjan, le ministre turc a reconnu qu’il n’était pas venu pour présenter des propositions concrètes sur les relations arméno-turques et qu’il n’avait pas demandé à l’Arménie de se retirer de deux régions entourant l’Artsakh. Après la conférence, Davutoglu a changé de discours, insistant sur le fait que le seul but de sa visite à Erevan était de surmonter « la barrière psychologique » entre l’Arménie et la Turquie et d’amorcer un dialogue et une confiance renouvelés. 
 
Dans sa quête affirmée de relations améliorées, Davutoglu a eu une réunion avec l’ancien Premier ministre et ministre de la Défense, Vazgen Manoukian, au cours de laquelle il a rabaissé le génocide au rang de « certains événements passés » et a exhorté tout le monde « à aller de l’avant ». Lorsque Manoukian a relaté la mort de ses quatre oncles pendant le génocide, Davutoglu a promis de dire une prière lors de sa prochaine visite sur leur lieu de naissance -- Moks, au sud du Lac de Van. Et pourtant, il a eu l’audace de conseiller aux Arméniens de ne pas oublier les victimes turques de la Première Guerre mondiale. Il a également suggéré que les Arméniens de la diaspora reviennent dans leur ancienne patrie, la Turquie d’aujourd’hui. L’aspect le plus fascinant de la réunion avec Manoukian fut la révélation de Davutoglu indiquant que l’un des bâtiments du siège du ministère des Affaire étrangères à Ankara avait appartenu à un Arménien – soulevant ainsi la possibilité qu’un procès soit intenté par l’un des héritiers de l’ancien propriétaire. 
 
Le ministre des Affaires étrangères Davutoglu a fait une dernière tentative pour saper les préparations du centenaire du génocide arménien, en disant aux journalistes turcs à bord de son avion que les « déportations » des Arméniens en 1915 étaient « inhumaines ». Tout en déclarant que la Turquie n’avait jamais soutenu cet acte, il a condamné les « déportations » les qualifiant de « pratique absolument mauvaise commise par les dirigeants de l’époque ottomane, du Comité union et progrès. » 
 
Davutoglu a également révélé qu’il avait rencontré des Arméniens de la diaspora pendant ses voyages à l’étranger, mais qu’il n’avait pas rendu publiques ces rencontres, car il s’inquiétait que des « extrémistes arméniens ne causent des problèmes. » 
 
L’offensive de charme turque a fait bonne impression sur ceux qui sont farouchement en faveur d’une réconciliation arméno-turque et qui n’ont aucun scrupule à mettre les bourreaux et les victimes à un même niveau. Les États-Unis et le Canada ont été les deux seuls pays à avoir officiellement salué la visite du ministre turc des Affaires étrangères en Arménie, exhortant à une poursuite du dialogue entre les deux pays. 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
Éditorial du 19 décembre 2013 
 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 19 décembre 2013 –www.collectifvan.org
 
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