La Suisse doit faire appel du jugement de la Cour européenne sur le génocide arménien


La Suisse doit faire appel du jugement de la Cour européenne sur le génocide arménien

  • 26-12-2013 21:27:18   | USA  |  Articles et analyses
 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
Éditorial du 26 décembre 2013 
 
La semaine dernière, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un jugement critique lié au génocide arménien, dans le cadre du procès opposant DoguPerincek à la Suisse. 
 
Perincek, le leader d’un petit parti politique turc, s’était rendu en Suisse en 2005 dans l’intention de défier les autorités suisses qui l’avaient sanctionnépour avoir nié le génocide arménien. Il avait effrontément qualifié le génocide arménien de « mensonge international. »[1] 
 
En réponse à une plainte au pénal déposée par l’Association Suisse-Arménie,Perincek avait été jugé et condamné pour discrimination raciale par le Tribunal de police de Lausanne en mars 2007. Une Cour d’Appel suisse avait confirmé la peine, jugeant qu’il avait violé l’article 261bis du Code pénal. Le Conseil National (Parlement) de la Suisse a reconnu le génocide arménienen 2003. Perincek avait alors fait appel auprès du Tribunal fédéral, la plus haute instance judiciaire de Suisse, qui avait confirmé le verdict. 
 
Le 10 juin 2008, Perincek a fait appel de son verdict auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, affirmant que ses droits avaient été violés par les tribunaux suisses, y compris son droit à la liberté d’expression. Il avait demandé 140.000 euros pour dommage matériel et moral, ainsi que les frais de justice. 
 
Le 17 décembre 2013, la Cour européenne a rejeté la plupart desplaintes dePerincek (articles 6, 7, 14, 17, 18 de la Convention européenne) ainsi que sa demande de dédommagement. Cependant, cinq des sept juges ont jugé que la Suisse avait violé le droit à la liberté d’expression de Perincek (article 10). 
 
Ce verdict est extrêmement inhabituel, car la liberté d’expression n’est pas un droit absolu dans la jurisprudence européenne. De nombreux États européens impose des restrictions à la liberté d’expression, y compris une peine d’emprisonnement pour la négation du génocide juif.Sanctionner la négation du génocide juif tout en tolérant celle du génocide arménien est un double standard inacceptable. Soit la négation des deux génocides est déclarée illégale soit non. 
 
Lire le document de 80 pages du jugement de la Cour européenne n’a pas été une tâche facile, pas uniquement parce qu’il était en français, mais, plus important encore, les cinq juges qui ont donné raison à Perincek ont mal interprété la plupart des questions. On pourrait écrire un livre entier réfutant leurs innombrables erreurs factuelles. Les juges ont dénaturé les allégations de Perincek, des Cours et des jugements suisses, les faits du génocide arménien et sa reconnaissance internationale, tout en se contredisant constamment. Pour aggraver le tout, le communiqué de presse de quatre pages publié par le Greffier de la Cour la semaine dernière a davantage faussé le verdict de la Cour, semant ainsi la confusion dans les médias internationaux quant aux détails du procès. 
 
Lescinq jugesqui ont approuvéles fausses accusationsdePerinçekétaient : GuidoRaimondi(Italie), PeerLorenzen(Danemark), DragoljubPopović(Serbie), AndrasSajo(Hongrie)etHelenKeller(Suisse). Lesjugesqui s’y sont opposés :NebojsaVucinic(Monténégro) etPauloPinto deAlbuquerque(Portugal). Dans l’annexe desept pagesauverdict, les jugesRaimondietSajose sont de nouveau contredits, en s’excusant de rendre un verdict enfaveur dePerincek. Ayant soulevé des questions sur la véracité des « massacres arméniens », après avoir déclaré que leur devoir n’était pas de se prononcer sur le génocide, les deux juges ont estimé que l’extermination du peuple arménien avait été soutenue par le gouvernement, reconnaissant par conséquent sa nature génocidaire. Toutefois, ils ont persisté à se référer au génocide arménien en utilisant le terme « MedzYegherrn » (sic) qu’ils ont traduit par « grand crime ». D’un autre côté, les juges dissidentsVucinicet Pinto de Albuquerque ont inséré en annexe au jugement leur rapport de 19 pages très bien documenté sur le génocide arménien. Cette étude de valeur devrait être traduite en plusieurs langues importantes et diffusée dans le monde entier. 
 
Les représentants du gouvernement arménien et les principales organisations de la diaspora ont demandé au gouvernement suisse de faire appel de toute urgence du verdict erroné de la Cour européenne, auprès des 17 juges de la Grande chambre avant la fin du délai de 90 jours.La ministre de la diaspora en Arménie, Hranush Hakobyan a appelé les Arméniens du monde entier à protester contre le jugement de la Cour en contactant leurs gouvernements respectifs et en envoyant des lettres de plaintes à la Cour. Le Comité national arménien d’Europe[2]a promis de prendre toutes les mesures nécessaires pour contester le verdict de la Cour, exhortant la Suisse à interjeter appel. 
 
Si elle n’est pas contestée, la décision de la Cour aura un effet dissuasif, non seulement sur les initiatives visant à sanctionner pénalement la négation du génocide arménien dans d’autres pays d’Europe, particulièrement en France, mais plus important encore, sur le centenaire du génocide qui approche. Le verdict de la Cour, en l’état, est une approbation de la position négationniste tant de la Turquie que de Perincek, qui purge actuellement une peine de prison à perpétuité en Turquie pour activité criminelle ! La Turquie est directement intervenue dans ce procès en soumettant de nombreux témoignages à la Cour européenne. Le ministre turc des Affaires étrangères a publié une déclaration osée, applaudissantsans vergogne le verdict de la Cour et fanfaronnant sur le soutien de cette dernière à la liberté d’expression ! En vertu de l’article 301 du Code pénal turc, dire la vérité sur le génocide arménien est un crime,alors qu’en Suisse mentir sur le génocide est un délit ! 
 
Au nom de la vérité et de la justice, il est impératif que le gouvernement suisse fasse appel du jugement de la Cour et ne succombe pas aux pressions économiques et politiques turques. 
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