Harut Sassounian. La menace hypocrite de la Turquie à la Syrie à propos d’une tombe ancienne


Harut Sassounian. La menace hypocrite de la Turquie à la Syrie à propos d’une tombe ancienne

  • 21-03-2014 10:21:37   | USA  |  Articles et analyses

La menace du ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, de mener des actions de représailles contre toute personne en Syrie qui endommagerait la tombe de Suleyman Shah, le grand-père d’Osman I, fondateur de l’Empire ottoman, est la dernière manifestation de l’hypocrisie absolue du gouvernement turc. 
 
Voici un pays qui a commis un génocide contre des millions de ses sujets chrétiens (les Arméniens, les Assyriens et les Grecs), qui a confisqué leurs biens, occupé leurs terres, détruit des milliers d’églises, de cimetières et d’édifices culturels, mais qui a pourtant le front de menacer les Syriens, si un ancien tombeau ottoman venait à être endommagé ! 
 
Si la tombe de tout être humain doit certes être protégée et traitée avec respect, la menace de Davutoglu est une piètre excuse pour intervenir dans les affaires internes syriennes. Ironie du sort, la tombe de Suleyman Shah est située dans une région qui n’est pas contrôlée par le régime syrien, mais par les djihadistes d’Al-Qaïda et d’autres groupes rebelles qui ont été assistés et armés par la Turquie dans le but de faire tomber le régime du président Bachar al-Assad. Les combattants d’Al-Qaïda, en conflit avec d’autres factions anti-Assad dans la région où se trouve la tombe ottomane, sont ceux qui détruisent les tombes, car les islamistes radicaux pensent que vénérer une tombe est un acte d’idolâtrie. 
 
La Turquie estime que le bout de terre en Syrie, où la tombe de Suleyman Shah est située, est un territoire souverain turc, en vertu du Traité d’Ankara signé en 1921 par la Turquie et la France, cette dernière occupant la Syrie à l’époque. Selon le traité, la Turquie avait le droit de stationner des gardiens et de hisser le drapeau turc sur ce site. Depuis 1921, une vingtaine de soldats turcs gardent la tombe jour et nuit. 
 
L’article 9 du Traité d’Ankara a alloué 7500 mètres carrés du territoire syrien à la Turquie, à 95 km au sud de la frontière turco-syrienne. En 1974, lorsque la zone entourant la tombe a été inondée suite à la création du nouveau lac Assad, elle a été déplacée sur un nouveau site à 30 km de la frontière turque. Malgré les hostilités en cours en Syrie, la Turquie a continué à maintenir un contingent de soldats près du tombeau. 
 
En échange des droits territoriaux accordés à la Turquie sur ce site ancien, la France avait obtenu plusieurs concessions économiques, y compris le droit que des entreprises françaises exploitent le trafic ferroviaire dans certaines régions de la Turquie, ainsi que des mines de fer, de chrome et d’argent pour une durée de 99 ans. Ce compromis douteux n’est sans doute pas légal au regard du droit international, car il s’avère qu’une puissance coloniale marchandait le territoire de quelqu’un d’autre ! 
 
Le traité signé en 1921 instituait également un régime administratif spécial pour les Turcs vivant à Alexandrette, qui était un territoire syrien à l’époque du mandat français. In 1939, Alexandrette a été complètement séparé de la Syrie et officiellement cédé à la Turquie sous le nom de province de Hatay. Après avoir obtenu son indépendance de la France en 1946, le gouvernement syrien a reconnu la souveraineté de la Turquie sur le site de la tombe de Suleyman Shah, mais n’a jamais accepté qu’Alexandrette ait été donné en cadeau à la Turquie. 
 
Lors d’une conférence de presse à Van vendredi dernier, le ministre Davutoglu a prévenu que toute attaque de la tombe ottomane en Syrie, qu’elle provienne du régime [syrien], de groupes radicaux ou autres, déclenchera des représailles de la part de la Turquie. Pour défendre son territoire souverain, la Turquie, prendra toutes les mesures nécessaires sans hésiter. Actuellement il n’y a pas d’intrusion visant notre territoire [la tombe en Syrie] et nos soldats, mais nous sommes prêts à prendre toutes les mesures qui seraient nécessaires en cas de menace. L’opinion publique turque n’a aucun doute à avoir à cet égard. Entre-temps, des responsables du ministère des Affaires étrangères, de l’État-major et de l’organisation du renseignement national (MIT) se rencontrés le 13 mars pour discuter de la sécurité de la tombe de Shah. Bien que Davutoglu n’ait pas spécifié quelles mesures prendrait la Turquie, les médias turcs avancent que ce pourrait être un envoi de troupes supplémentaires pour garder le site vénéré. 
 
À mon avis, la menace de Davutoglu est tout simplement un exercice de bruit de sabre à l’encontre de la Syrie, afin de détourner l’attention de l’opinion publique turque du comportement récent scandaleux et probablement criminel du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à la veille des élections municipales en Turquie, qui auront lieu le 30 mars. 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
Éditorial du 20 mars 2014 
 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 20 mars 2014 – www.collectifvan.org
 
 
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