Erdogan pointe son doigt sur Obama lors d’une vive discussion à la Maison Blanche


Erdogan pointe son doigt sur Obama lors d’une vive discussion à la Maison Blanche

  • 18-04-2014 11:09:45   | USA  |  Articles et analyses

Harut Sassounian 
The California Courier 
Éditorial du 17 avril 2014 
 
Dans un excellent article intitulé La ligne rouge et la ligne du rat, publié par la revue London Review of Books, le journaliste américain lauréat du Prix Pulitzer, Seymour Hersh, a révélé que le 21 août 2013, le gouvernement turc avait secrètement orchestré l’attaque au gaz sarin en Syrie, qui a fait des centaines de victimes syriennes. Le Premier ministre Recep Erdogan espérait que le régime syrien serait tenu pour responsable de cette attaque chimique et que cela mènerait à une frappe américaine de représailles, puisque le président Obama avait averti les dirigeants syriens que l’utilisation d’armes chimiques contre les combattants rebelles revenait à franchir la « ligne rouge ». 
 
Le plan d’Erdogan a failli réussir ! Après l’attaque au gaz sarin, le président Obama a commencé à planifier une attaque aérienne américaine d’envergure sur des cibles syriennes, bien que les services du renseignement britannique aient informé les chefs d’état-major interarmées des États-Unis que les échantillons de gaz sarin obtenus sur le site de l’attaque ne correspondaient pas aux armes chimiques détenues par la Syrie. Un ex-responsable des services du renseignement américain à déclaré à Hersh que « Erdogan était connu pour son soutien au Front Al-Nosra, une faction djihadistes des rebelles de l’opposition, ainsi qu’à un autre groupe de rebelles islamistes. » Hersh a révélé que l’Agence du renseignement de la défense (DIA) avait émis un document « hautement classifié » le 20 juin 2013, confirmant que la Turquie et des facilitateurs chimiques basés en Arabie Saoudite, tentaient d’obtenir les précurseurs du gaz sarin, des dizaines de kilos, très probablement pour l’effort de production à grande échelle prévue en Syrie. » 
 
Au mois de mai dernier, plusieurs membres du Front Al-Nosra, ont été arrêtés en Turquie en possession de deux kilos de gaz sarin. Un tribunal turc a accusé le groupe de vouloir acquérir d’autres ingrédients nécessaires pour lancer une attaque chimique en Syrie. Cinq des personnes arrêtées ont été libérées rapidement, tandis que les autres ont été relâchées en attendant leur procès. On ne les a jamais revues ! 
 
Après la visite de la mission spéciale de l’ONU en Syrie, venue enquêter sur deux attaques chimiques précédemment survenues, au printemps 2013, une personne très au fait des activités des Nations Unies a déclaré à Hersh que : « Il existe des preuves reliant l’opposition syrienne à la première attaque au gaz le 19 mars à Khan al-Assal, un village près d’Alep… Il est évident que les rebelles ont utilisé le gaz. » 
 
Juste avant de lancer l’attaque conjointe américaine, britannique et française sur la Syrie en septembre 2013, le président Obama a soudainement décidé de remettre la frappe à plus tard, au prétexte qu’il avait besoin de l’accord du Congrès. La véritable raison est que le président a découvert qu’il était en train de se faire piéger par la Turquie pour une attaque « injustifiée » en Syrie, mais il ne voulait pas admettre publiquement la bourde qu’il avait failli faire et qui aurait eu des conséquences catastrophiques pour tout le Moyen-Orient. Ironie du sort, c’est le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov qui a sauvé le président Obama de l’embarras, en signant un accord avec la Syrie, afin qu’elle restitue ses stocks d’armes chimiques, fournissant ainsi au président une raison à l’annulation de l’attaque prévue. 
 
Le journaliste d’investigation Hersh a également révélé que les armes chimiques étaient parvenues aux rebelles syriens grâce à une opération de la CIA dont le nom de code était « la ligne du rat » -- un accord secret turco-américain passé en 2012 pour acheminer des armes et des munitions de Lybie en Syrie via la Turquie. Après l’attaque terroriste de son ambassade à Bengazi en Lybie, le hub des activités clandestines, les États-Unis se sont retirés de cet accord secret, mais la Turquie a continué à fournir des armes libyennes aux rebelles syriens. 
 
Fin 2012, alors que les rebelles perdaient la bataille contre le régime d’Assad, un ex-responsable du renseignement américain a dit à Hersh que « Erdogan était en rogne », ce qui l’a conduit à concocter un plan pour que les rebelles utilisent le gaz sarin et que le gouvernement syrien soit accusé à tort, ce qui déclencherait une attaque des États-Unis en Syrie. 
 
Afin de défendre personnellement la cause d’une attaque américaine en Syrie, pour sauver les rebelles de la défaite, le Premier ministre turc Erdogan s’est rendu à Washington. Le 16 mai 2013, Erdogan, accompagné du ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu et du chef du renseignement, Hakan Fidan, ont eu un dîner de travail à la Maison Blanche, auquel participaient le président Obama, le Secrétaire d’État John Kerry et le Conseiller pour la Sécurité nationale Tom Donilon. Furieux de voir la réticence d’Obama à mener une opération militaire contre la Syrie, Erdogan « putain, a brandi son doigt en direction du Président, au sein de la Maison Blanche », Donilon a raconté cet épisode choquant à un analyste de politique étrangère qui l’a rapporté à Hersh. « La décision américaine de mettre fin au soutien des envois d’armes en Syrie a laissé Erdogan exposé politiquement et militairement », a expliqué Hersh. « Sans le soutien militaire américain aux rebelles, l’ex-responsable des services du renseignement américain a dit que ‘le rêve d’Erdogan d’avoir un État-client en Syrie est en train de s’évaporer et il pense que nous en sommes la cause. Si la Syrie gagne la guerre, il sait que les rebelles vont très probablement se tourner vers lui – où pourraient-ils aller sinon ? Donc, il va désormais avoir des milliers de radicaux dans sa cour. » 
 
Après l’attaque au gaz sarin près de Damas en août 2013, un ex-responsable du renseignement a dit à Hersh : « Nous savons maintenant que c’était une mission secrète planifiée par les gens d’Erdogan pour pousser Obama à franchir la ligne rouge… Le deal était de mener une action spectaculaire… Le sarin a été acheminé via la Turquie. » Une autre indication de la complicité des responsables turcs, ainsi que le rapporte Hersh, réside dans leurs appels téléphoniques interceptés par les États-Unis, révélant leur grande joie au succès de l’attaque chimique qu’ils avaient orchestrée ! 
 
Hersh conclut son exposé en relayant une remarque très inquiétante d’un ex-responsable des services du renseignement américain : « J’ai demandé à mes collègues s’il existait un moyen pour qu’Erdogan cesse d’apporter son soutien aux rebelles, surtout maintenant que tout va mal, et la réponse a été ‘On est baisés’. On pourrait rendre l’histoire publique avec une personne autre qu’Erdogan, mais la Turquie est un cas spécial. C’est un allié de l’OTAN. Les Turcs ne font pas confiance à l’Occident. Ils ne supporteront pas que nous jouions un rôle actif contre les intérêts turcs. Si nous révélons ce que nous savons sur le rôle qu’Erdogan a joué dans l’histoire du gaz, ce serait un désastre. Les Turcs diront ‘nous vous haïssons parce que vous nous dites ce que nous devons faire ou ne pas faire. » 
 
Pendant presque un siècle, les gouvernements américains successifs n’ont pas compris une vérité géostratégique fondamentale – la Turquie a besoin des États-Unis bien plus que les États-Unis n’auront jamais besoin de la Turquie. Il y a vraiment quelque chose qui va terriblement mal quand c’est la queue qui remue le chien ! 
 
[La deuxième partie de l’éditorial de la semaine dernière sur la déportation par la Turquie des colons juifs de Palestine, sera publiée à une date ultérieure]. 
 
 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 17 avril 2014 – www.collectifvan.org
 
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