Erdogan affirme que ce n’était pas un génocide car tous les Arméniens n’ont pas été tués


Erdogan affirme que ce n’était pas un génocide car tous les Arméniens n’ont pas été tués

  • 12-05-2014 17:59:15   | USA  |  Articles et analyses

 
Quelques jours après sa déclaration astucieusement libellée du 23 avril, qui avait conduit certaines personnes à croire qu’il avait reconnu le génocide arménien, le Premier ministre turc Erdogan a fait marche arrière lors d’une émission télévisée américaine très suivie, affirmant que les massacres des Arméniens en 1915 n’étaient pas un génocide. 
 
Lorsque le journaliste chevronné Charlie Rose a demandé au Premier ministre s’il était possible de qualifier les massacres de génocide, Erdogan est devenu la risée des spectateurs du monde entier en déclarant : « Ce n’est pas possible, car s’il s’agissait d’un génocide, pourrait-il encore y avoir des Arméniens vivant dans ce pays [Turquie] ? » 
 
Il est très embarrassant de constater que le dirigeant d’un grand pays tel que la Turquie n’ait pas la moindre idée de la définition universellement acceptée du génocide. Le ministre des Affaires étrangères Davutoglu (un ex-professeur) et d’autres Turcs érudits ont dû grincer des dents en regardant leur Premier ministre dévoiler son ignorance devant des millions de téléspectateurs ! 
 
L’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948, définit un génocide comme : « des actes commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. » 
 
Nul besoin d’être un spécialiste des génocides pour comprendre qu’il n’est pas nécessaire d’exterminer tous les membres d’un groupe en particulier pour être accusé de commettre un génocide. Hitler a-t-il réussi à tuer tous les juifs ? Erdogan oserait-il faire une remarque similaire aussi offensante sur une chaîne de télé américaine sur le génocide juif, en affirmant que ce n’était pas un génocide car il y a encore des juifs vivant en Allemagne aujourd’hui ? Dans sa réponse adéquate à Erdogan, le ministre des Affaires étrangères Edward Nalbandian l’a exhorté à suivre l’exemple des Allemands qui ont reconnu qu’un génocide avait été perpétré, par « la reconnaissance, la condamnation et des excuses. » Nalbandian aurait pu aussi ajouter « des restitutions » – une exigence impérative – sans laquelle le reste ne serait que des paroles creuses. 
 
Il faudrait rappeler à Erdogan que quelques jours auparavant il avait appelé à la création d’une commission conjointe pour étudier « les faits historiques ». À quoi cela sert-il de demander une étude s’il a déjà conclu que ce n’était pas un génocide ? Le Premier ministre ne peut pas être sérieux et il n’est certainement pas sincère ! 
 
À la fin de son interview avec Charlie Rose, Erdogan a fait d’autres déclarations contradictoires, rejetant la responsabilité du génocide sur les Ottomans : « Ce n’est pas quelque chose qui s’est passé dans la République de Turquie. C’était sous l’Empire ottoman… Si les documents montrent que nos ancêtres ont fait une erreur… si les historiens peuvent démontrer cela, alors nous aurions à en payer les conséquences. » 
 
Si personne en Arménie et dans la diaspora n’a été dupe des déclarations trompeuses d’Erdogan, la réaction de certains Arméniens en Turquie a été évidemment plus conciliante. L’archevêque Aram Atechian, le Vicaire général du Patriarcat arménien d’Istanbul, s’est précipité à Ankara avec son entourage pour une conversation « plaisante » avec le Premier ministre turc et un déjeuner sympathique avec le ministre des Affaires étrangères, Davutoglu. L’archevêque Atechian a remercié les dirigeants turcs pour leur expression de « douleur partagée » en référence aux Arméniens et aux Turcs morts pendant la Première Guerre mondiale. 
 
Ces paroles élogieuses ne sont pas surprenantes étant donné le statut des Arméniens en Turquie, qui sont les otages d’un régime autoritaire et brutal, ainsi que l’a découvert le journaliste Hrant Dink qui a payé de sa vie le fait d’avoir témoigné de la véracité du génocide. Certains Arméniens de Turquie, cependant, ont appris à manipuler le système oligarchique du pays pour leur profit personnel. Ils sont disposés à accepter le négationnisme turc pour s’enrichir par le biais de contrats occultes passés avec des responsables gouvernementaux et/ou pour sécuriser leur position dans la communauté arménienne locale. De fait, plusieurs Arméniens influents de Turquie ont suggéré qu’Erdogan soit nommé pour le Prix Nobel de la Paix pour sa déclaration du 23 avril ! Deux hommes d’affaires arméniens ont même fait publier des annonces auto-dévalorisantes dans des journaux turcs, remerciant le Premier ministre et présentant des excuses pour les « morts » turcs pendant la Premières Guerre mondiale ! 
 
En fin de compte, ce n’est pas la déclaration d’Erdogan, ni ce que dit ou ne dit pas la lettre d’opinion de Davutoglu dans The Guardian sur le génocide arménien qui importe. La question fondamentale est la suivante : est-ce que les responsables turcs sont enclins à réparer les crimes commis par leurs ancêtres à l’encontre du peuple arménien ? Ce qui importe le plus pour les Arméniens c’est la restitution et la justice, et non pas une rhétorique creuse ! Les mots d’Erdogan sont trop petits et ils arrivent trop tard. Sa déclaration n’est qu’une stratégie habile destinée à limiter les dégâts, étant donné les sentiments grandissants et les appels du monde entier demandant d’accepter la responsabilité du génocide arménien, et pour détourner l’attention des scandales entourant la Turquie et son Premier ministre. 
 
Harut Sassounian 
 
 
 
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