Harut Sassounian. Un intellectuel turc l’affirme : la Turquie a perdu la bataille pour la vérité


Harut Sassounian. Un intellectuel turc l’affirme : la Turquie a perdu la bataille pour la vérité

  • 01-12-2014 18:24:03   | USA  |  Articles et analyses

Ces dernières années, un nombre croissant d’intellectuels, de chercheurs, de journalistes et de militants des droits de l’homme ont pris des positions courageuses sur le génocide arménien, à l’antithèse du négationnisme de leur gouvernement. Bien qu’ils ne soient pas très nombreux et que leur influence sur le président Erdogan soit négligeable, le combat pour la vérité et la justice est mené sur deux fronts : à l’intérieur et à l’extérieur de la Turquie. Espérons qu’avec le temps, les rangs de ces libéraux en Turquie grossiront, obligeant leur gouvernement à mettre en place des réformes sur diverses questions, y compris le génocide arménien. 
 
Ces Turcs progressistes, cependant, ne doivent pas être considérés comme des activistes de la cause arménienne. Leur objectif premier est de vivre dans une société démocratique qui respecte les droits de tous les citoyens et admet les pages sombres de son passé. L’un de ces justes Turcs est Cengiz Aktar, chercheur au Centre politique d’Istanbul, qui a défendu pendant des années la reconnaissance du génocide arménien par le gouvernement turc. Au début de cette année, Aktar a écrit deux articles fascinants, contestant la négation turque du génocide arménien. Le premier, publié le 21 avril dans Today’s Zaman, s’intitulait Le 99e anniversaire. Le second, posté sur le site d’Al Jazeera en anglais le 24 avril, avait pour titre Le génocide arménien : la Turquie a perdu la bataille pour la vérité et l’accroche était Une société turque influente défie à présent le paradigme négationniste de l’État concernant les événements tragiques de 1915. Dans son premier article, Aktar décrit le 24 avril comme « un jour symbolique pour les Arméniens qui ont été dispersés de force aux quatre coins du monde. Ce désastre collectif n’est toujours pas reconnu en Turquie. Même le fait que les Arméniens anatoliens ont été complètement anéantis et ont disparu de leurs terres ancestrales n’est pas suffisant pour que le peuple et l’État le reconnaissent. » 
 
Aktar poursuit en ridiculisant l’appel du Premier ministre Ahmet Davutoglu à créer « une commission historique conjointe », car elle serait « composée ‘d’experts du génocide’ d’un côté et de professeurs négationnistes de l’autre, qui ne peuvent même pas s’organiser, sans parler de prendre une décision. » 
 
Terminant son article sur une note optimiste, Aktar fait remarquer que « contrairement à l’État, aujourd’hui la société turque remet le passé en question et cherche les réponses appropriées. Ceci est le moyen le plus sain et le plus durable pour affronter la vérité. La paix ne régnera pas sur ces terres sans que l’on confronte au passé. 2015 sera l’année durant laquelle la quête de la liberté et de la mémoire s’approfondira, même si cela ne plaît pas au gouvernement. » 
 
Dans l’article pour Al Jazeera, le chercheur turc divise la campagne de négation du génocide arménien menée par le gouvernement en trois parties : les initiatives conjointes de lobbying avec l’Azerbaïdjan, en particulier aux États-Unis ; engager des chercheurs qui donnent un vernis scientifique au ‘négationnisme vulgaire’ de la Turquie ; et détourner l’attention du génocide arménien en mettant l’accent sur d’autres événements tels que « la victoire de la bataille des Dardanelles » et « la débâcle militaire de Sarikamis. » 
 
En dépit d’une propagande négationniste vigoureuse, Aktar maintient que « la Turquie a perdu depuis longtemps la bataille de la vérité. La destruction de la population arménienne sur ses terres ancestrales est un fait avéré, quel que soit le nom que vous lui donniez. » Aktar décrit le 24 avril 1915 comme « Le jour noir où la décision de supprimer les Arméniens de l’Anatolie a commencé à être appliquée par le gouvernement ottoman des Jeunes-Turcs, ou Ittihadistes. La raison la justifiant était la création d’une population homogène composée de musulmans devant former le pilier de la nation turque qui restait à être inventée. Par conséquent, il n’y avait pas de place pour les populations chrétiennes, en dépit de leur présence historique sur ces terres. » 
 
L’intellectuel turc fait ensuite référence à « un rapport commandé en mai 1919 par le gouvernement ottoman, arrivé au pouvoir en 1918 après la disparition des Jeunes-Turcs », et qui indiquait que 800 000 Arméniens avaient déjà perdu la vie à cette date. Aktar cite également une information tirée d’un livre publié en 1928 par l’État-major turc, qui rapportait que « 800 000 Arméniens et 200 000 Grecs étaient morts suite aux massacres, aux réinstallations forcées et au travail forcé ». Aktar conclut : « Lorsque l’on ajoute ceux qui sont morts après 1918 dans la région du Caucase, de faim, de maladie et à cause des massacres, le chiffre dépasse le million. Ce travail de nettoyage des Ittihadistes a été complété par les kémalistes qui ont obligé ceux qui avaient été épargnés en Anatolie à se réfugier à Istanbul et simultanément en détruisant leurs lieux de travail et leurs écoles dans toute l’Anatolie. » 
 
Cet audacieux intellectuel turc termine son article puissant par une note d’un réalisme sobre : « Le génie est sorti de la bouteille. Quand et comment il affectera la politique de l’État est difficile à prédire. » 
 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
 
 
 
 
 
 
 
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