De Harut Sassounian.Erdogan défend ses intérêts personnels au lieu de lutter contre les terroristes de Daech


De Harut Sassounian.Erdogan défend ses intérêts personnels au lieu de lutter contre les terroristes de Daech

  • 02-08-2015 13:09:04   | USA  |  Articles et analyses
 
Le mois dernier, après que son parti a perdu la majorité parlementaire, le président Erdogan a enfin compris qu'il y a des terroristes dangereux en Syrie voisine et qu'ils sont une menace pour la sécurité de la Turquie. 
 
Paradoxalement, ce sont les mêmes terroristes qu'Ankara a armés, aidés à s'infiltrer en Syrie et soignés dans les hôpitaux turcs. On estime que jusqu'à 25000 djihadistes étrangers et 1000 turcs ont passé la frontière turque ces dernières années pour essayer de renverser le régime du président syrien Bachar Al-Assad. 
 
Usant du prétexte qu'un soldat turc a été tué la semaine dernière par un tir provenant de Syrie, Erdogan a donné des ordres pour une série de bombardements par voie terrestre et aérienne dans le nord de la Syrie et en Irak, et la rafle d'environ 1000 personnes soupçonnées d'être des combattants kurdes, des militants de gauche et des partisans de Daech. 
 
Après avoir été réticent pendant plusieurs années, le gouvernement turc a finalement annoncé le 24 juillet, qu'il autoriserait les États-Unis à utiliser au moins l'une de ses bases aériennes pour lancer des attaques aériennes contre les groupes djihadistes en Syrie. 
 
Au lieu de lutter contre les terroristes de Daech ou de coopérer avec les opérations militaires américaines en Syrie et en Irak, le véritable but d'Erdogan est de consolider sa mainmise sur le pouvoir et de réaliser les objectifs qui le servent : 
 
1) Le président turc a compris que si son parti ne réussissait pas à former un gouvernement de coalition, il serait obligé d'appeler à de nouvelles élections parlementaires. Par conséquent, en entreprenant des actions fortes contre les combattants kurdes et ceux de Daech, Erdogan espère que les électeurs turcs donneront quelques sièges supplémentaires à son parti, lui permettant de récupérer sa majorité au Parlement. 
 
2) En bombardant le nord de la Syrie et les bases du PKK, et en arrêtant des milliers de militants kurdes en Turquie, l'autre objectif important n'est pas de se battre contre Daech, mais d'empêcher les Kurdes turcs, syriens et irakiens de s'unir et de créer un Kurdistan indépendant. 
 
3) En effectuant des bombardements militaires en Syrie, Erdogan espère réaliser son rêve de longue date, qui est de renverser le gouvernement syrien et d'installer un régime fantoche, étendant ainsi sa puissance personnelle de sultan néo-ottoman. 
 
4) Enfin, en faisant des déclarations effrontées contre Daech et en autorisant les Américains à utiliser la base aérienne d'Incirlik, la Turquie cherche à convaincre les États-Unis et l'Europe occidentale qu'elle est un allié fiable de l'OTAN et un partenaire loyal dans la lutte contre le terrorisme. Créer une image positive est particulièrement important au moment où les grandes puissances sont en train de finaliser un accord nucléaire avec l'Iran, qui va accroître le rôle stratégique de ce pays dans la région et diminuer celui de la Turquie. 
 
En poursuivant ces quatre objectifs, Erdogan court le risque de déstabiliser la Turquie et les États voisins : 
 
1) En attaquant des cibles de Daech dans le nord de la Syrie, au motif de prétendues représailles pour le soldat turc tué, Ankara brise son accord secret avec Daech qui est d'éviter les attaques mutuelles. Daech est à présent obligé de riposter. L'attaque suicide de la semaine dernière dans la ville de Suruc, qui a fait 32 morts et plus de 100 blessés, est probablement un acte terroriste précurseur de ceux que Daech va commettre en Turquie. 
 
2) La semaine dernière, la Turquie a brisé l'accord de cessez-le-feu signé avec le PKK en 2013, en bombardant les bases de ce dernier dans le nord de l'Irak et en arrêtant des centaines de militants kurdes en Turquie. Le PKK a déjà exercé des représailles en tuant plusieurs policiers turcs et en promettant un bain de sang. De plus, en attaquant les Kurdes de Syrie et d'Irak, la Turquie va affaiblir la seule force se battant avec succès contre Daech. Étant donné que les États-Unis considèrent les combattants kurdes comme des troupes de substitution au sol, les attaques de la Turquie contre les Kurdes vont nuire aux objectifs militaires américains dans la région. 
 
3) Si Erdogan envahit le nord de la Syrie pour soi-disant établir une "zone de sécurité", les troupes turques vont sans doute subir de nombreuses pertes, en se battant non seulement contre l'armée syrienne, mais aussi contre les combattants kurdes lourdement armés et les nombreux groupes incontrôlés de djihadistes. La Turquie affrontera également les troupes iraniennes venant en aide à leur allié syrien et aux combattants du Hezbollah provenant du Liban et qui soutiennent le régime de Bachar Al-Assad. 
 
La fausse guerre intéressée contre le terrorisme du président turc pourrait avoir comme conséquence dramatique une escalade de la violence dans toute la Turquie et les pays voisins. Si Ankara avait sincèrement l'intention de contrer les djihadistes, elle aurait dû le faire il y a longtemps, au lieu d'armer et d'encourager Daech et les autres groupes terroristes. Les dirigeants turcs vont désormais récolter ce qu'ils ont semé. Ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes ! 
 
 
De Harut Sassounian 
The California Courier 
 
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