Colloque International. Krikor Beledian et la littérature arménienne contemporaine


Colloque International. Krikor Beledian et la littérature arménienne contemporaine

  • 30-09-2015 16:24:19   |   |  Culture

Le jeudi 17 et le vendredi 18 septembre dernier, l’Auditorium de l’INALCO a accueilli le Colloque International « Krikor Beledian et la littérature arménienne contemporaine » organisé par l’INALCO et la Fondation Calouste Gubenkian.

Ce colloque a réuni sur deux jours, une quinzaine d’intervenants de différents pays et disciplines et entre 60 et 80 auditeurs.

 

Dans son mot d’ouverture et de bienvenue au nom de la direction générale de cette institution, Anaïd Donabedian, responsable du département arménien de l’INALCO, a rappelé qu’en cette année du Centenaire, cette institution a programmé une série de manifestations en dehors de celle dédiée à la littérature de Krikor Beledian, un concert de jazz « 2015 » du nouveau sextet de Claude Tchamitchian inspiré de l’ouvrage « Seuils » de Krikor Beledian, le colloque dédié à l’apprentissage de l’arménien occidental le 21 et 22 septembre ainsi qu’une soirée consacrée au journal « Haratch » le 22 octobre prochain.


Krikor Beledian enseigne à l’INALCO depuis 1978. Il a été le premier à avoir enseigné la littérature arménienne contemporaine dans le cadre du programme d’enseignement de la langue arménienne à l’INALCO. L’institution de cette discipline ne s’est pas faite sans combat et c’est un succès dans lequel à l’epoque Arpik Missakian a joué un grand rôle. Un sujet qui mérite d’être traité et approfondi.

L’enseignement de Beledian allait jouer un rôle majeur sur ses futures créations littéraires, ses écrits critiques et de traductions comme lui-même l’a rappelé lors de l’entretien de la fin de ce colloque.
Il a également enseigné la patrologie arménienne et la littérature arménienne médiévale à l’Université Catholique de Lyon. Il jouit d’une grande notoriété dans les milieux universitaires pour ses recherches analytiques relatives à l’arménologie et à la littérature arménienne occidentale.

Les intervenants de la première séance de la matinée:


Le premier intervenant de la matinée Haroutiun Kurkjian (Grèce) a abordé le thème  de « La prose de Beledian dans ses premiers écrits romanesques ». H. Kurkdjian a souligné la confrontation de Beledian avec la langue en expliquant comment l’auteur a pu créer sa propre langue par un processus de destruction-construction de l’espace et du temps. Son étude considère  l’oeuvre de Beledian sur trois points : incitation, impossibilité et vitalité. Le premier étant la manifestation du besoin de témoigner, d’ouvrir la langue à la brutalité et de créer une photographie interne : la nécessité de recréer la langue. Le deuxième point concernait la problématique liée à la langue d’un peuple sans population, sans locuteurs et à la langue de la catastrophe, relevant l’impossibilité, l’insupportabilité de la parole . Enfin en dernier la question de la vitalité de la parole et du dire, affichant le besoin de faire renaitre la langue : « un obstacle retenu dans ma bouche ».


Raffi Ajemian (Canada) a abordé le thème: « La style dans les récits de Krikor Beledian ». A l’appui d’exemples, il a souligné le recours au procédé des abréviations utilisées par l’auteur dans ses œuvres, de sa capacité d’exprimer un évènement avec concision en un ou deux mots et de son habilité de passer d’un lieu à l’autre. Il a également parlé de l’image présente de manière intrinsèque comme le négatif d’un film qui se révèle dans le bain d’acide du développeur. Il a parlé de l’innénarable, de ce qui n’est pas possible d’écrire sans l’écrire. Il faut d’abord révéler les faits pour les enterrer. Il s’est interrogé sur l’usage du terme « récit » qui agit comme un agent unificateur entre les scènes et les auditeurs. Il a évoqué aussi la question de « retour » comme un moyen qui rend possible le moment de la réflexion à travers le récit.


Marc Nichanian (Portugal) a abordé le thème de « L’éternel retour du roman». Analysant l’œuvre « Retour» de Beledian, il a considéré les différentes significations du concept de retour, de retournement dans la langue française. Il s’est référé au concept de « l’éternel retour » chez Nietzsche, et comment K. Beledian en introduisant cette question dans le champ romanesque, a ouvert la porte aux réflexions théoriques qui ont rendu possible le récit en terme  de retour. Le sujet du « retour du même » est toujours présent dans son oeuvre.
Nichanian a aussi évoqué le danger de « témoinisation ». Le narrateur est le récepteur de l’histoire, le chroniqueur du témoignage. Pour certifier l’authenticité de sa chronique, il se réfère aux témoignages personnels à travers des épisodes autobiographiques qui soulèvent en lui-même, une nouvelle question d’authenticité.

Après le déjeuner, Jennifer Manoukian (Etats-Unis) est intervenue, en français, sur le thème : « L’œuvre de Krikor Beledian dans la revitalisation de l’arménien occidental ». Elle a souligné l’importance de faire lire les œuvres de Beledian aux enfants en tenant compte de l’esprit de liberté, le jeu avec la langue et la création de nouveaux vocabulaires dans ces écrits.

Nathalie Karamanoukian (France) a parlé au sujet de « La langue coupée ». Elle a soulevé la question de recréer le temps et l’espace et de la post-mémoire dans la langue. Dans sa conclusion, elle a annoncé la création du groupe Le Cercle des Amis de Krikor Beledian afin de faire connaître au grand public les œuvres de Beledian, de recueuillir des fonds pour assurer leurs traductions.

Sonia Bekmezian (France), a abordé la thématique de « La traduction des œuvres de Krikor Beledian ». La traductrice de « Seuils » a dressé la liste des problèmes relatifs à la traduction de ses œuvres et particulièrement au sujet du temps médiatif, de l’inexistence de genres en arménien, et enfin de tournures et expressions idiomatiques. Elle a souligné le cas des répétitions qui est un mode d’expression très utilisé dans la langue arménienne mais qui est signe d’ignorance en français. Enfin, elle a parlé du problème relatif aux différents usages de la langue.
Anahid Ter Minassian (France) a parlé du sujet « De l’histoire à la fiction narrative dans l’œuvre « Le nom sous ma langue ». Mme Ter Minasssian a commencé en disant qu’elle n’est pas une experte de Beledian mais qu’elle a lu, pendant trois mois, son œuvre « Le nom sous ma langue ». L’expérience qu’elle nous a fait partager était très intéressante. Elle a rappelé les propos très durs de Beledian et de Nichanian concernant l’approche historiographique de la Catastrophe. Elle a rajouté que pour la lecture de cet ouvrage, elle a fait appel aux théories de la critique littéraire contemporaine.

Le premier intervenant de la séance du matin du vendredi 18 septembre au colloque fut Mgr Norvan Zakarian qui a publié deux volumes exégétiques sur les poèmes en prose de Beledian. Dans son intervention intitulée « Topographie pour une ville détruite », Mgr Zakarian a insisté sur le fait que la destruction de la ville n’était pas un éloge d’une esthétique de la guerre. Ni une description issue de la tradition de la belle parole. Elle concerne surtout la création d’une ville poétique. La destruction de Beyrouth en 1975, une réplique contemporaine de l’image de 1915. De phénomènes incurables qui se répètent. Ce n’est pas le combat du mal contre le bien mais du mal contre le mal. Mais ce n’est pas non plus une punition divine à l’exemple de la chute de la ville de Jérusalem.


La deuxième intervenante de la matinée était Siranush Dvoyian de l’Université d’Etat d’Erevan. Sa présentation avait pour intitulé « La réception de l’histoire de la littérature arménienne de Krikor Beledian ». Elle a porté son regard sur un domaine peu exploré de l’auteur : les ouvrages théoriques « Drame », « Mard» , etc. et l’intérêt particulier que jouit son oeuvre auprès du lectorat d’Arménie.
Le troisième intervenant était Hakob Gulludjian des Etats-Unis, qui est  intervenu sur le thème : « Vers le dehors ou un déni de réception : l’écrivain, la communauté intempestive, la langue ». Gulludjian a fait remarquer l’attitude peu accueillante des milieux arménophones à l’égard des œuvres de Beledian, de la modernité de l’auteur et ses analyses très actuelles. Comme la grande majorité des intervenants, H. Gulludjian a lu des passages des œuvres de Beledian.

Janine Altounian (France), une figure bien connue dans les milieux arméniens de France comme psychanalyste et co-traductrice des œuvres de Freud. Lors de son intervention qui avait pour thème : « Ma  rencontre avec Krikor Beledian, détenteur et traducteur d’une culture perdue », elle a parlé de la traduction du manuscrit de son père qui était resté, pendant des longues années, dans le tiroir de sa mère, jusqu’à jour où cette dernière allait lui confier ce manuscrit qui allait ouvrir devant ses yeux une réalité de l’histoire familiale jusqu’alors méconnue. Elle se rapproche de Beledian car elle se sentait incapable de traduire le manuscrit. Altounian a confirmé que l’Individu est menacé quand il ne sait pas s’exprimer par des mots. Il était indispensable d’entamer un travail pour faire naître l’œuvre. C’est un champ symbolique qui s’ouvre.

Valentina Calzolari (Italie), a parlé sur le thème : « Krikor Beledian et la littérature de la Catastrophe ». Elle a souligné la question des difficultés liées à la recherche dans le domaine de la littérature catastrophique. D’abord à cause du manque de chercheurs et ensuite à cause les difficultés d’accessibilité aux sources. Elle a évoqué la singularité du phénomène, alors que dans le passé ce phénomène était inexistant. Elle a également rappelé la technique littéraire dans l’œuvre de Grégoire de Narek : « Lamentation sur la ville d’Edesse » où le prophète Jeremie se manifeste au moment de l’exode du peuple juif de Babylone ,  ou encore dans le cas de l’ouvrage « Dans les ruines » de Zabel Essayan où l’auteure a trouvé des stratagèmes pour enregistrer ses témoignages.

La dernière séance du colloque était réservée à un débat public avec Catherine Coquio et Krikor Beledian. Madame Coquio, Présidente de l’Association Internationale de Recherches sur les crimes contre l’Humanité et les Génocides – AIRCRIGE et conférencière de littérature comparative, a présenté des analyses intéressantes entre les destins des peuples qui ont subi des injustices et des crimes contre l’Humanité. Etant intéressée par de la Cause arménienne, elle a rappelé ses impressions et les œuvres des intellectuels français comme Blanchot, Derrida, Foucault, Barthe, Kaufman, Benjamin Walter, etc., qui ont labouré le champ de la catastrophe et de la génocidologie et qui ont élaboré des théories sur la consubstantialité entre la littérature et la mort. Elle a adressé des questions à Beledian sur l’apport littéraire de divers écrivains arméniens ainsi que sur des questions d’actualités comme le conflit syrien, etc.

Vers la fin, tous les conférenciers étaient invités à poser des questions à l’auteur. En tant que modérateur , le Professeur Dickran Kouyumjian a posé la première question en demandant quelles étaient les questionnements que ce colloque avait suscités en lui. Quant à Anahid Ter Minassian, elle a posé la question de savoir comment travaillait Krikor Beledian en tant qu’écrivain. Les réponses relatives à la formation de Beledian et des membres de sa génération au Liban étaient très intéressantes, ainsi que celles liées à la formation intellectuelle de l’auteur et du critique sous l’influence de la littérature française.

Source : Nor Haratch

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