Comment l’escalade entre Turquie et Russie va profiter aux Kurdes


Comment l’escalade entre Turquie et Russie va profiter aux Kurdes

  • 26-11-2015 14:21:11   | Turquie  |  Politique

Mardi 24 novembre, un avion russe a été abattu par la Turquie à proximité de Kessab. Au moins un des deux pilotes a été tué par les rebelles turkmènes alors qu’ils s’étaient éjectés de l’avion en flamme. Selon la Turquie l’avion aurait violé l’espace aérien turc et les Russes prétendent le contraire. Le tracé radar de l’armée turque montre que l’avion russe a pénétré dans un petit «bec de canard» turc large de 2 km en Syrie, ce qui à la vitesse d’un avion signifie qu’il est resté quelques secondes en Turquie. L’armée turque attendait donc l’avion russe en embuscade pour le frapper. Vu la vitesse du missile, il a sans doute été frappé une fois qu’il était de nouveau en Syrie. Les deux pilotes se sont éjectés dans le ciel syrien.

Certes, cet incident intervient après toute une série de violations de l’espace aérien turc beaucoup plus sérieuses. Les frappes russes se rapprochent de la frontière turque et touchent les villages turkmènes. Cela a conduit Ankara à protester officiellement auprès de la Russie vendredi 13 novembre 2015. L’objectif des Russes est de fermer la frontière syrienne au nord de Lattaquié pour que l’armée syrienne puisse venir à bout des fiefs rebelles, le Djebel Turkmène et le Djebel Akrad, qui menacent les installations militaires russes. Elle ne pourra pas y parvenir si les rebelles continuent à recevoir de l’aide depuis la Turquie. L’armée syrienne a enregistré quelques gains territoriaux, mais c’est trop peu par rapport à ce que l’appui aérien russe devrait lui permettre de réaliser.

Vladimir Poutine est furieux. La visite de Sergueï Lavrov en Turquie qui devait avoir lieu ce mercredi a été annulée. Les Etats Unis sont embarrassés et ont immédiatement publié un communiqué affirmant qu’ils n’étaient pour rien dans cette affaire. La grande alliance contre Daesh préconisée par François Hollande pourrait-t-elle voir le jour dans ces conditions ? Cela impliquerait de se désolidariser de la Turquie qui est membre de l’Otan. En France, l’opinion publique et une partie de la classe politique sont favorables à un rapprochement avec la Russie pour éradiquer Daesh. Au contraire, la Turquie a très mauvaise presse pour laisser passer par son territoire les terroristes de Daesh. Elle commence à agacer fortement les dirigeants européens qui l’accusent de se débarrasser des réfugiés syriens et de faciliter le transit les Afghans, des Irakiens et tous ceux qui cherchent à gagner l’eldorado européen.

Difficile de prévoir la réaction de Vladimir Poutine. Il accuse la Turquie de «coup de poignard dans le dos», ce qui n’est pas dans ces habitudes. Les Européens et les Etats-Unis sont clairement dans une stratégie de désescalade en Syrie. Ils ne veulent pas se laisser entraîner par la Turquie dans la création d’une zone d’exclusion aérienne dans le Nord de la Syrie. Vladimir Poutine devrait donc logiquement surenchérir directement en bombardant précisément les zones turkmènes à la frontière turque, ne serait-ce que pour venger la mort du pilote. Nous devrions également assister à un renforcement du PYD (Kurdes de Syrie) par la Russie, dans le but notamment de leur permettre de s’emparer de la zone frontalière avec la Turquie tenue par Daesh. Les Kurdes de Syrie réaliseront ainsi leur rêve d’unir leurs territoires dans une même entité : le Rojava.

 

Source: Fabrice Balanche/ Liberation

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