L'ONG Reporters sans frontières (RSF) a lancé mardi à Istanbul un appel international en faveur de la libération de deux journalistes turcs incarcérés pour "terrorisme" après avoir fait état de livraisons d'armes de la Turquie à des rebelles islamistes syriens.
L'appel, doublé d'une pétition en ligne, a déjà été signé par les journalistes allemand Günther Wallraff et américain Carl Bernstein, le sociologue français Edgar Morin, le linguiste américain Noam Chomsky, l'économiste français Thomas Piketty et le pianiste turc Fazil Say, a annoncé le secrétaire général de RSF Christophe Deloire.
Les signataires accusent le gouvernement islamo-conservateur turc de "persécuter les journalistes de toutes tendances de manière de plus en plus féroce" et exigent qu'il "libère Can Dündar et Erdem Gül sans délai, ainsi que tous les autres journalistes actuellement détenus".
M. Dündar, rédacteur en chef du quotidien d'opposition Cumhuriyet, et M. Gül, le chef de son bureau à Ankara, ont été inculpés de "terrorisme", "espionnage" et "divulgation de secrets d'Etat" et placés en détention provisoire jusqu'à leur procès.
En mai, Cumhuriyet avait diffusé des photos et une vidéo de l'interception par des gendarmes, en janvier 2014 à la frontière syrienne, de camions appartenant aux services secrets turcs (MIT) et transportant des armes destinées à des rebelles islamistes syriens.
Le gouvernement turc a toujours nié ce soutien et répété que le convoi intercepté contenait de "l'aide" pour les populations turcophones de Syrie.
Un tribunal d'Istanbul a rejeté mardi l'appel de leur incarcération interjeté par les deux journalistes, a rapporté l'agence de presse Dogan.
Leur placement en détention est "conforme au droit et aux procédures", a estimé la cour dans le jugement cité par Dogan, ajoutant que les documents publiés par Cumhuriyet "ne peuvent pas être considérés comme relevant des activités journalistiques".
Le Premier ministre islamo-conservateur Ahmet Davutoglu a estimé que l'incarcération de MM. Dündar et Gül aurait pu être évitée. Mais M. Deloire a rappelé la plainte personnelle, jugée "particulièrement choquante", déposée par le président Recep Tayyip Erdogan contre Cumhuriyet.
"Les autorités turques se trompent d'ennemi", a-t-il déclaré devant la presse, "il semble qu'en Turquie les journalistes soient plus régulièrement poursuivis par la justice que les militants, citoyens turcs, de Daech (acronyme arabe du groupe Etat islamique)".
L'incarcération de MM. Dündar et Gül a suscité un tollé dans l'opposition turque et dans les capitales étrangères.
"Malheureusement, il y aujourd'hui de plus en plus de journalistes dans les couloirs des tribunaux", a déploré le président du syndicat des journalistes turcs (TGS) Ugur Güç.
"La Turquie ne peut pas être un bon voisin de l'Europe tant qu'elle musèle la presse, qu'elle arrête les journalistes et qu'elle continue d'ignorer les droits de l'homme", a renchéri le journaliste Kadri Gürsel.
La Turquie pointe à la 149e place, sur 180, au classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF, derrière la Birmanie (144e) et juste devant la Russie (152e).
AFP