Rapport anti-arménien de Robert Walter : Lettre ouverte du CCAF aux députés du Conseil de l’Europe


Rapport anti-arménien de Robert Walter : Lettre ouverte du CCAF aux députés du Conseil de l’Europe

  • 12-01-2016 13:32:11   | Arménie  |  Politique

Madame la Députée, Monsieur le Député,

Le CCAF apprend que le rapport grossièrement partial du député britannique Robert Walter sur la situation au Haut-Karabakh est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée plénière de l’APCE du 26 janvier et qu’il risquerait d’être adopté, étant donné le poids de l’axe Ankara-Bakou dans cette enceinte et l’enchevêtrement d’un certain nombre d’intérêts qui lui sont liés, directement ou indirectement. Il va sans dire que si une telle éventualité venait à se concrétiser, non seulement elle ne ferait qu’éloigner les perspectives de solution au conflit, mais elle jetterait l’opprobre sur l’intégrité d’une institution qui a pour charge de promouvoir les valeurs démocratiques et non de servir de relais aux desseins d’une dictature qui ne dit pas son nom, mais dont on ne connait que trop la nature autoritaire, belliqueuse et raciste.

Faut-il rappeler à cet égard les multiples rapports des organisations de défense des droits de l’homme sur les turpitudes du régime Aliev en terme de liberté de la presse, d’opinion, de prisonniers politiques, de corruption sur le plan national et international, de fraudes électorales, de torture, etc. ? Faut-il rappeler la fermeture des bureaux de l’OSCE et de Radio Free Europe à Bakou ? Faut-il rappeler les déclarations du président Aliev, dénonçant l’Arménie comme un « État artificiel construit » sur des terres azerbaïdjanaises  ? Faut-il rappeler la boulimie militariste de son gouvernement dont le budget consacré à l’armement équivaut presque au PIB de l’Arménie  ? Un État dont le philosophe Michel Onfray s’est récemment désolé, au terme d’un voyage touristique qu’il y a effectué l’été dernier, du « racisme anti-arménien hystérique, permanent et dangereux » qui y régnait. Faut-il rappeler que c’est sous les coups du nationalisme panturc, dont se réclament les dirigeants de l’Azerbaïdjan - ne proclament-ils pas que leur pays forme avec la Turquie deux États pour un même peuple  ? -, que l’existence des Arméniens sur leurs terres historiques s’est réduite comme peau de chagrin ? Et que les événements ici évoqués s’inscrivent dans cette logique  ? Faut-il rappeler que lorsque le Parlement du Haut-Karabakh a voté et a demandé par des voies légales à être rattaché à l’Arménie en 1988, la réponse de Bakou a été d’organiser immédiatement des pogroms antiarméniens à Soumgaït, à des centaines de kilomètres de ce territoire ? Faut-il rappeler la célèbre sentence du grand Andréï Sakharov, prix Nobel de la Paix, qui avait déclaré que le conflit du Haut-Karabakh est une question de survie pour les Arméniens et une affaire d’orgueil national pour l’Azerbaïdjan  ?

Tous ces faits sont bien sûr absents du rapport de M.Walter, qui ne prend même pas la peine de citer une seule fois le « droit à l’autodétermination », principe qui fait pourtant partie de ceux, dits de Madrid, sur les lesquels les belligérants s’étaient mis d’accord pour négocier une solution.

Noyant à l’envi le poisson dans une suite de détails insignifiants, le rapport de M.Robert Walter entend occulter l’enjeu principal de ce conflit : le droit à l’existence des Arméniens dans un environnement marqué par le génocide de 1915 et conditionné par l’impunité dont il a fait l’objet. Car c’est hélas bel et bien dans la complicité tacite à l’égard de ce premier génocide du XXe siècle que prend ancrage l’axe Ankara/Bakou. Et c’est dans sa continuation que se construisent ses stratégies antiarméniennes qui trouvent aujourd’hui un prolongement scandaleux au sein même du Conseil de l’Europe.

Le Haut-Karabakh n’est pas les Sudètes et l’Arménie n’est pas cet État impérialiste que tend à dépeindre, par petites touches, M. Walter, anciennement membre du groupe d’amitié avec l’Azerbaïdjan du Parlement britannique et heureux bénéficiaire d’une nationalité turque qui lui a été gracieusement octroyée par M.Mevlüt Çavuşoğlu en mai dernier, selon le quotidien turc Sabah. L’Arménie et les Arméniens ne convoitent les territoires de personne, ils ne visent à convertir quiconque à leur religion, ni à exercer leur puissance supposée sur quelque communauté ou nation que ce soit. Ce vieux peuple toujours en danger de mort demande simplement que ces géants économiques et démographiques que sont par rapport à lui l’Azerbaïdjan et son allié turc, le laisse vivre et perpétuer sa culture trimillénaire sur ce qu’il lui reste de ses terres ancestrales sous ses pieds. Et c’est parce qu’ils défendent ce droit à l’existence, encore remis en cause cent ans après le génocide de 1915 par les forces du panturquisme, que des jeunes Arméniens se font tuer toutes les semaines sur la ligne de contact entre la libre République du Haut-Karabakh et l’Azerbaïdjan. Le Conseil de l’Europe va-t-il aujourd’hui perdre son âme en entérinant les manigances de M. Aliev et de ses marionnettes qui cherchent sa caution pour accomplir leurs noirs desseins  ?

L’APCE ne ferait pas dès lors que déconsidérer l’Europe, que ruiner ses fondements moraux, qu’avilir ses valeurs. Il rendrait de surcroit un très mauvais service à la cause de la paix dont se réclame éhontément M. Walter. Et, ce ne sont pas seulement les Arméniens de France qui l’affirment. Dans un communiqué publié le 12 novembre à Vienne le Groupe de Minsk de l’OSCE, seule autorité légale pour conduire le processus de négociation, fait la mise en garde suivante : « Compte tenu du caractère sensible des négociations, toutes les tentatives de changer le format ou de créer des mécanismes parallèles peuvent perturber le processus de négociation et entraver le progrès vers un règlement ».

Affaiblir, voir délégitimer l’unique voie de dialogue entre les deux pays, comme le propose implicitement le rapport Walter, ne pourra que contribuer à déstabiliser une situation explosive.

Madame la Députée, Monsieur le Député, 
en refusant de vous prêter à cette manoeuvre aussi grossière qu’immorale, vous défendrez à la fois l’honneur du Parlement et les chances de la paix. Veuillez agréer, Monsieur de député, l’expression de notre considération distinguée

Mourad Papazian 
Ara Toranian
Coprésidents du CCAF

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