Harut Sassounian. Alors que sa réputation est de plus en plus ternie, la Turquie engage davantage d’entreprises américaines de lobbying


Harut Sassounian. Alors que sa réputation est de plus en plus ternie, la Turquie engage davantage d’entreprises américaines de lobbying

  • 19-06-2017 18:53:20   | Arménie  |  Articles et analyses

 
Alors que la Turquie affronte de plus en plus de condamnations de la communauté internationale pour ses atteintes aux droits de l’homme, le gouvernement turc décide, pour nettoyer sa réputation entachée, de dépenser une fortune en lobbying et de s’offrir les services d’entreprises spécialisées en relations publiques. Dans la foulée du referendum bancal du 16 avril, qu’Erdogan a gagné de justesse pour se donner des pouvoirs dictatoriaux étendus, l’attaque brutale commise par ses gardes du corps sur des manifestants innocents devant l'Ambassade de Turquie à Washington D.C., a été unanimement condamnée par les branches exécutive et législative du gouvernement américain, ce qui s’est notamment traduit par une résolution adoptée par la Chambre des représentants avec 397 voix pour et 0 contre ! 
 
Malheureusement pour la Turquie et son président autocrate, la réputation du pays est tellement ternie que des entreprises spécialisées en relations publiques, quel que soit leur pouvoir ou leur compétence, ne pourront pas redorer le blason turc. Les dirigeants turcs sont en réalité en train de gaspiller des millions de dollars du contribuable pour tenter d’accomplir une tâche impossible. 
 
Le gouvernement turc a déjà payé cinq millions de dollars par an à dix entreprises de lobbying : 1.700.000$ à The Gephardt Group ; 741.000$ à APCO ; 600.000$ à Amsterdam Partners ; 480.000$ à Greenberg Traurig ; 384.000$ à Capitol Counsel ; 240.000$ à Mercury ; 240.000$ à Madison Group ; 240.000$ à Mcbee Signal ; 240.000$ à Jim Arnold ; et 108.000$ à MediaFix ! De plus, un partenaire d’affaires d’Erdogan a donné, en septembre 2016, 540.000$ à Michael T. Flynn, l’ancien conseiller discrédité de Donald Trump à la sécurité nationale, afin qu’il fasse du lobbying en faveur du gouvernement turc ! 
 
Ces derniers mois, en tentant de s’extirper de ce bourbier, le gouvernement turc et des groupes qui lui sont affiliés ont engagé trois nouvelles entreprises. Cette semaine, nous allons en présenter une, et nous aborderons le sujet des deux autres dans un prochain éditorial. 
 
Monte Advisory Group a été engagé en août 2016 pour 400.00$. Selon le site web d’information The Daily Beast, l’entreprise est dirigée par Douglas Barker, le fils de l’homme politique républicain, James Barker, anciennement Chef de cabinet de la Maison Blanche et Secrétaire d’État des États-Unis sous George H.W. Bush, puis Chef de cabinet de la Maison Blanche et Secrétaire du Trésor des États-Unis sous Ronald Reagan. Cette entreprise est sensée améliorer la perception publique de la Turquie ! Douglas Barker est « l’unique membre et gestionnaire » du Monte Advisory Group. Le contrat a été signé par le Knowledge Economy Association (KEA), une mystérieuse organisation non-gouvernementale basée à Istanbul. The Daily Beast rapporte que « les activités [de KEA] s’alignaient parfois sur les intérêts du gouvernement turc ». Plus inquiétant encore, The Daily Beast rapporte qu’« au moins un membre de la direction de KEA était un représentant du gouvernement turc ». Toujours d’après l’enquête du Daily Beast, le fondateur et ex-président du groupe, Davut Kavranoglu, est de plus aujourd’hui conseiller scientifique auprès d’Erdogan. Kavranoglu a tweeté une photo de lui aux côtés de James Baker ! 
 
The Daily Beast rapporte que le Monte Advisory Group, d’après sa déclaration auprès du Département de la Justice des États-Unis, « était occupé à se mettre en relation avec l’équipe de campagne de Trump puis avec son équipe de transition » pour le compte de KEA « afin d’améliorer la relation globale et les perceptions publiques entre la Turquie et les États-Unis ». Monte a aussi pris contact avec « des responsables sortants de l’administration Obama, en organisant des réunions avec le staff du Département de la Défense des États-Unis et en envoyant des e-mails à Colin Kahl, alors conseiller à la sécurité nationale du vice-président, Joe Biden ». 
 
Selon The Daily Beast, Israfil Kahraman, un avocat d’Istanbul, est répertorié dans la déclaration fournie au Département de la Justice des États-Unis comme le représentant légal de KEA. Kahraman a déclaré que le but de ce contrat était de « développer l’amitié et la coopération entre la Turquie et les États-Unis dans les domaines du développement scientifique et économique ». Il est aussi cité par The Daily Beast comme ayant déclaré que KEA a été fondé par « un groupe de scientifiques reconnus qui ont pour but de conduire des activités dans la société civile afin de sensibiliser l’opinion turque sur le besoin de développer une économie à haute valeur ajoutée ». Cela n’a aucun sens. Pourquoi un groupe dont l’objectif est d’attirer l’attention en Turquie sur des sujets économiques engagerait une entreprise de lobbying à Washington ? Cela semble être une façade pour le gouvernement turc plutôt qu’un groupe indépendant rassemblant des scientifiques. Il serait intéressant de découvrir qui finance KEA ! 
 
Fait intéressant, quand Douglas Baker a été contacté par le Bureau du Journalisme d'Investigation (BIJ), il a déclaré qu’il y avait certaines préoccupations sur le fait que la relation américano-turque s’était « quelque peu détériorée » durant les dernières années du mandat Obama. « Il pourrait y avoir des opportunités pour soit renforcer cette relation, soit la voir se dégrader encore plus. Et c’est pourquoi [KEA] a conservé les services de Monte – pour qu’il puisse aider durant cette phase de transition ». 
 
Douglas Baker a ajouté que le travail de son entreprise pour KEA « n’a jamais été conçu comme une campagne de relations publiques généralisée. C’était plutôt une opportunité de présenter leur point de vue [de KEA]… Ils avaient le sentiment que nous étions en mesure de les aider à faire les présentations nécessaires ». 
 
Sans surprise, après l’investiture de Donald Trump, et après que les « présentations nécessaires » ont été faites entre KEA et des responsables de l’administration Trump, KEA n'a pas renouvelé, en février 2017, son contrat avec Monte à la fin de la période convenue de six mois. « Seulement 105.000$ sur les 400.000$ convenus avaient alors été payés », rapporte le BIJ. 
 
Par Harut Sassounian 
The California Courier 
Éditorial du 15 juin 2017 
 
 
 
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