Harut Sassounian. Un historien du 5e siècle décrit l’état déplorable de la société arménienne
27-12-2017 11:31:20 | USA | Articles et analyses
Un ami m’a récemment envoyé l’extrait d’un livre écrit au 5e siècle par l’historien Moïse de Khorène, dans lequel il décrit les conditions sociétales déplorables dans l’Arménie ancienne.
Mon ami a fait ce commentaire : « Le texte écrit au 5e siècle par St. Moïse pourrait facilement s’appliquer au clergé arménien, aux dirigeants, à l’église, aux organisations, aux juges, aux institutions et à nous-mêmes aujourd’hui. Alors, qu’est-ce qui a changé en 1 600 ans ? Qu’est-ce qui changera ? Et si rien ne changeait ? Et si c’était qui nous sommes et ce que nous sommes ? Le plus grand défi auquel nous sommes confrontés en tant qu’Arméniens est comment survivre et réussir sur la scène mondiale malgré tout et sans perdre espoir. Car en dépit du pire aspect de notre nature que Moïse décrit, d’une manière ou d’une autre, cette petite nation a trouvé un moyen de survivre jusqu’à ce jour. Ne nous lamentons pas sur l’Arménie. Réjouissons-nous de nos enfants, de nos petits-enfants et de l’avenir prometteur que chacun de nous peut créer pour notre nation. »
La citation ci-dessous est extraite du livre précurseur de Moïse de Khorène, L’histoire des Arméniens. Le chapitre s’intitule Élégie sur le royaume d’Arménie, arraché à la race des Arsacides, et sur le patriarcat enlevé à la maison de saint Grégoire. Le livre a été traduit de l’arménien en anglais par le professeur Robert W. Thomson de l’université de Harvard. J’ai ajouté quelques commentaires entre parenthèses pour clarifier la traduction.*
Moïse de Khorène a écrit :
« Je te plains, terre d’Arménie ; je te plains, contrée supérieure à toutes celles du nord, car ils te sont ravis, ton roi et ton pontife, le conseiller et le maître de la science ! La paix a été troublée, le désordre a pris racine ; l’orthodoxie a été ébranlée, et l’hérésie s’est fortifiée par l’ignorance. »
« Je te plains, Église d’Arménie ; le magnifique éclat de ton sanctuaire est obscurci, car tu es privée du pasteur excellent et de son compagnon. Je ne vois plus ton troupeau spirituel paître dans la prairie verdoyante, le long du fleuve de la tranquillité ; je ne vois plus le troupeau rassemblé dans la bergerie et protégé contre les loups ; mais il est dispersé dans des déserts et des précipices. »
« Les docteurs ignorants et prétentieux, achetant l’honneur [du sacerdoce] et non désignés par Dieu, élus à prix d’argent et non par l’esprit, avares, envieux, méprisant la douceur dans laquelle Dieu se complaît, deviennent des loups déchirant leurs propres troupeaux. »
« Les moines hypocrites, orgueilleux et vains, préfèrent les honneurs à Dieu. »
« Les ecclésiastiques hautains, pleins d’assurance, débitant des futilités, paresseux, ennemis des sciences, des instructions des docteurs, préfèrent le trafic et les bouffonneries. »
« Les disciples insouciants de s’instruire, pressés d’enseigner avant d’avoir approfondi la science, siègent en théologiens. »
« Le peuple altier, insolent, hautain, désœuvré, caustique, malfaisant, fuit l’état ecclésiastique. »
« Les soldats brutaux, fanfarons, laissant le métier des armes, paresseux, débauchés, intempérants, pillards, sont devenus les émules des brigands. »
« Les princes révoltés, associés aux voleurs, avares, cupides, spoliateurs et dévastateurs, dépravés, Ont l’âme semblable à celle des esclaves. »
« Les juges partiaux, faux, trompeurs, avides de cadeaux, prévaricateurs, sont faibles dans leurs jugements et se livrent à des controverses. En somme, tout sentiment de charité et de pudeur a disparu d’au milieu de tous. »
« En somme, tout sentiment de charité et de pudeur a disparu d’au milieu de tous. »
« Les rois deviendront des tyrans cruels, exécrables, qui imposeront des charges énormes et accablantes, et donneront des ordres intolérables ; les supérieurs, sans souci de la justice, seront sans pitié. Les amis seront trahis et les ennemis triompheront. La foi sera vendue au profit de cette vie futile. Les brigands, en nombre considérable, afflueront de toutes parts. Les maisons seront ruinées, les propriétés volées ; il y aura des chaînes pour les chefs, des prisons pour les notables, l’exil pour les gens libres et la misère pour la masse du peuple. Les villes seront prises, les forteresses détruites, les bourgs mis au pillage, et les édifices livrés aux flammes. Enfin, il y aura de longues famines, des épidémies et des morts de toute espèce. Le culte divin sera oublié et on aura l’enfer à ses pieds… »
L’ami qui m’a envoyé cette « élégie » compare la description de Moïse de Khorène de l’état déplorable dans lequel se trouvait l’Arménie il y a 1 600 ans aux conditions actuelles en Arménie et dans la diaspora ! Bien sûr, on ne peut pas faire une généralisation s’appliquant à tous dans la société arménienne. Il y a des exceptions respectables dans chaque segment de notre société, parmi les enseignants, le clergé, l’armée, les étudiants, les juges et les dirigeants.
Je suis d’accord avec mon ami quand il exprime l’espoir que notre nation survive en dépit des défaillances et des revers, et en dépit de tous les ennemis dans le pays et en dehors, comme cela fut le cas des siècles durant, depuis que Moïse de Khorène a rédigé ses observations très critiques !