Harut Sassounian.Le président Erdogan admet que la Turquie est... la ‘continuation’ de l’Empire ottoman
25-02-2018 13:08:12 | USA | Articles et analyses
Pendant des décennies, les responsables turcs ont nié catégoriquement le fait que le génocide arménien avait eu lieu. Toutefois, ces dernières années, certains Turcs ont trouvé comme excuse que la République turque n’était pas responsable du génocide arménien, car il a été commis par l’Empire ottoman, un État disparu.
Avec ce prétexte, la question n’est plus de savoir si le génocide a eu lieu ou non, mais qui en est responsable. Ceux qui utilisent cette justification affirment que la République de Turquie n’est ni le successeur ni la continuation de l’Empire ottoman, mais un État nouveau et bien distinct !
Cet argument s’est peu à peu affaibli quand le président Recep Tayyip Erdogan s’est mis à parler et à se comporter comme un sultan ottoman ! Il y a deux semaines, le dirigeant turc a aggravé les choses pour son pays, lorsqu’il a, selon The Times of London, affirmé que « la Turquie moderne est la ‘continuation’ de l’Empire ottoman – une contradiction directe de l’idéologie d’Atatürk qui qualifiait l’ère impériale d’arriérée, de périmée, qu’il fallait rejeter et oublier plutôt qu’encenser. »
En déclarant que la Turquie est la continuation de l’Empire ottoman, Erdogan admet effectivement que la Turquie d’aujourd’hui est responsable des actes de l’Empire ottoman. En d’autres mots, la République de Turquie, qui a hérité des actifs de l’Empire ottoman, a également hérité de son passif !
Pour confirmer son allégeance à la dynastie ottomane, Erdogan a assisté au début du mois à une cérémonie marquant le centenaire de la mort du sultan Abdul Hamid II, le ‘sultan rouge’ qui a été réhabilité par le gouvernement actuel. Erdogan a tout simplement occulté le fait que c’est le sultan rouge qui a ordonné la mise à mort de 300°000 Arméniens entre 1894 et 1896, ce qu’on appelle les massacres hamidiens. Comme l’indique The Times of London, « les descendants de l’un des derniers sultans ottomans vont recevoir la nationalité turque, mettant fin à presque un siècle de situation de paria et d’ostracisme.
Selon The Times of London, « Abdul Hamid II a régné de 1876 à 1909 et a été calomnié dans la République moderne de Turquie pour son autoritarisme, son attitude anti-occidentale et sa répression des médias. Et pourtant, il a été réhabilité à l’époque d’Erdogan. Une série télévisée, Payitaht, décrivant la vie d’Abdul Hamid en termes élogieux, a été encensée par M. Erdogan, qui estime essentiel que la jeunesse turque la regarde pour découvrir l’histoire de son pays… ‘Nous considérons le sultan Abdul Hamid II comme l’une des personnalités les plus importantes, les plus visionnaires, avec un esprit très stratégique, qui ont marqué les 50 dernières années de notre pays’, a déclaré M. Erdogan. ‘Nous devons cesser de voir les Ottomans et la République comme deux époques qui s’opposent.’ Abdul Hamid est mort en 1918 et lors des célébrations du centenaire de sa mort, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu a dit qu’il surveillerait personnellement le dossier accordant la nationalité turque à sa famille. »
Erdogan a averti avec arrogance que les soldats américains dans le nord de la Syrie allaient bientôt recevoir une ‘gifle ottomane’, selon l’agence Reuters. Il se « référait à une technique turque d’arts martiaux semi-légendaire consistant à infliger un coup du plat de la main, avec comme résultat un knock-out ou même une fracture du crâne et la mort. » Une illustration publiée par les médias turcs pro-gouvernementaux représente le président Donald Trump recevant une ‘gifle ottomane’ du président Erdogan. De plus, Reuters a cité le ministre turc des Affaires étrangères Cavusoglu, déclarant que Washington soutenait l’YPG [les forces kurdes en Syrie], car ils partageaient la même idéologie « marxiste, communiste, athéiste » !
Pour en revenir à la question de savoir si la République de Turquie est une entité toute nouvelle et bien distincte de l’Empire ottoman, le professeur Alfred de Zayas, un expert international en droit, a expliqué dans un essai intitulé Le génocide contre les Arméniens 1915-1923 et la pertinence de la convention du génocide de 1948, qu’un ‘État successeur’ est responsable des crimes commis par le régime qui l’a précédé. De plus, un État qui est la ‘continuation’ d’une entité précédente est même encore plus responsable, car il n’y a aucune différence entre les deux, comme l’a admis Erdogan il y a deux semaines.
Par ailleurs, Alfred de Zayas a cité dans son étude le professeur M. Cherif Bassiouni déclarant que « Dans le droit international, la doctrine de la continuité juridique et les principes de la responsabilité de l’État rendent un ‘gouvernement successeur’ responsable en cas de réclamations découlant de violations commises par un gouvernement précédent. » Le professeur de Zayas conclut en disant que « Les demandes des Arméniens pour leurs propriétés illégalement confisquées n’ont pas disparu avec le passage du sultanat au régime de Mustafa Kemal. »
Finalement, le professeur de Zayas affirme que « Le principe de la responsabilité de l’État successeur doit s’appliquer même quand l’État et le gouvernement qui ont commis des méfaits n’étaient pas ‘l’État successeur’. Ce principe a été formulé, entre autres, par la Cour permanente d’arbitrage dans l’affaire de l’arbitrage de la concession des phares. »
Nous pouvons donc conclure que le président Erdogan, en affirmant que la République de Turquie d’aujourd’hui est la continuation de l’Empire ottoman, a par inadvertance admis que la Turquie est responsable des dommages génocidaires, territoriaux et économiques causés par l’Empire ottoman à l’encontre du peuple arménien. L’aveu d’Erdogan devrait être présenté comme preuve lorsque des réclamations découlant du génocide turc des Arméniens sont soumises à la Cour internationale de justice.