Harut Sassounian. Les conditions préalables turques devraient être contrées par des conditions préalables arméniennes


Harut Sassounian. Les conditions préalables turques devraient être contrées par des conditions préalables arméniennes

  • 24-12-2018 11:52:23   | USA  |  Articles et analyses

Le Premier ministre en poste, Nikol Pachinian, a annoncé la semaine dernière que son gouvernement était prêt à établir des relations diplomatiques avec la Turquie, mais sans conditions préalables. 
 
Cette annonce a surpris la plupart des Arméniens qui espéraient que Pachinian ne commettrait pas la même erreur que l’ancien président Serge Sarkissian qui a plaidé pendant dix ans pour la ratification des protocoles arméno-turcs censés établir des relations diplomatiques entre les deux pays et permettre la réouverture de leur frontière commune. Toutefois, les protocoles comprenaient un certain nombre de sujets non liés, tels que la création d’une commission historique vouée à étudier le génocide arménien. Sous la pression de l’Azerbaïdjan, le gouvernement turc avait exigé que l’Arménie fasse d’abord des concessions territoriales dans le conflit de l’Artsakh [Haut-Karabagh] avant de ratifier les protocoles. Le président Sarkissian a été obligé de rejeter cette condition préalable et il a annulé les protocoles en début d’année. 
 
Les protocoles présentés avaient créé un conflit important entre le précédent gouvernement arménien et une grande partie des Arméniens du monde entier. Après son arrivée au pouvoir en mai dernier, Pachinian a annoncé à plusieurs reprises qu’il se concentrerait sur la résolution des problèmes internes arméniens, tels que la subornation et la corruption, et qu’il ne changerait pas la politique étrangère du pays. Par conséquent, la récente déclaration de Pachinian concernant le fait que l’Arménie était prête à établir des relations diplomatiques avec la Turquie revient simplement à tenir la même position que le gouvernement précédent. 
 
En septembre 2018, lorsque le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est rendu à Bakou, il a répété ses conditions préalables à l’établissement de relations avec l’Arménie : « Nous voulons avoir de bonnes relations avec nos voisins, mais résoudre le conflit du Haut-Karabagh est la condition préalable absolue pour que la Turquie améliore ses relations avec l’Arménie. » Erdogan a également mentionné son opposition à la poursuite de la reconnaissance internationale du génocide arménien, menée par l’Arménie. Le 11 décembre 2018, en réponse à la suggestion de Pachinian, un porte-parole d’Erdogan a de nouveau mentionné les conditions préalables turques. 
 
Paradoxalement, au lieu que ce soit l’Arménie qui pose des conditions préalables avant d’accepter d’établir des relations diplomatiques, c’est la Turquie qui exige que l’Arménie se plie à ses conditions préalables. On pourrait penser que les Arméniens, en tant que victimes des massacres de masse barbares commis par les Turcs, exigeraient avant d’établir tout lien diplomatique que la Turquie reconnaisse le génocide arménien et fasse les restitutions appropriées pour les énormes pertes humaines et matérielles ! Ces conditions préalables à imposer à la Turquie représentent un atout entre les mains des Arméniens : ils devraient l’utiliser comme élément de négociation. 
 
À mon avis, les demandes répétées de l’Arménie pour l’établissement de relations diplomatiques et la réouverture de la frontière sont gênantes et révèlent la faiblesse du côté arménien. De plus, c’est la Turquie qui bénéficierait de la réouverture de la frontière avec l’Arménie, qu’elle inonderait de produits turcs de basse qualité. Aujourd’hui, les marchés arméniens regorgent de produits turcs importés via la Géorgie, au détriment des petits fabricants arméniens. L’ouverture de la frontière avec la Turquie sonnerait le glas pour de nombreuses entreprises arméniennes. 
 
L’une des raisons souvent mentionnées par les responsables arméniens pour cette proposition d’établissement de liens diplomatiques et l’ouverture de la frontière est l’espoir que ce geste valoriserait l’Arménie aux yeux du monde et rendrait la Turquie inamicale et hostile si elle rejetait l’offre arménienne. 
 
Toutefois, les responsables turcs se moquent bien de ce que le monde pense d’eux. Ils agissent en fonction des intérêts de leur pays, indépendamment des avis et des critiques des autres. De même, les responsables arméniens devraient défendre les intérêts de leur pays, sans essayer d’amadouer la Russie, la France les États-Unis ou qui que ce soit ! 
 
De plus, aucun responsable arménien ne devrait prendre de décision unilatérale sur une question aussi vitale pour les Arméniens du monde entier et les sujets liés à la Turquie. C’est la grande erreur que le président Serge Sarkissian a commise et on espère que le gouvernement Pachinian ne fera pas la même, au moment où les nouveaux dirigeants arméniens encouragent l’intégration d’Arméniens de la diaspora dans les affaires intérieures du pays. 
 
Entre-temps, l’Azerbaïdjan continue de faire pression sur la Turquie pour que celle-ci ne rouvre pas sa frontière avec l’Arménie tant que le conflit de l’Artsakh n’a pas été résolu en faveur de Bakou. Ironiquement, les présidents Ilham Aliyev (Azerbaïdjan) et Erdogan (Turquie) sont donc, par leur intransigeance, ceux qui empêchent l'Arménie de parvenir à un accord préjudiciable à ses propres intérêts. 
 
Sur une question connexe, l’agence turque Anadolu News, a rapporté à tort que lors d’une rencontre avec des journalistes turcs, le ministre arménien des Affaires étrangères, Zohrab Mnatsakanian, avait fait référence au génocide arménien en termes « d’événements désagréables ». 
 
Malheureusement, plusieurs membres des médias arméniens ont reproduit les paroles déformées du ministre des Affaires étrangères. Certains l’ont même critiqué en croyant qu’il avait en fait caractérisé le génocide arménien « d’événements désagréables ». 
 
La porte-parole du ministère des Affaires étrangères d’Arménie, Anna Naghdalian, a rétabli les faits en déclarant que le ministre en poste n’avait jamais dit une telle chose et qu’Anadolu News avait déformé les paroles du ministre Mnatsakanian. La porte-parole a déclaré au journal Hay Tsayn qu’Anadolu s’était déjà excusée et avait corrigé son erreur. 
 
Voilà encore une autre leçon donnée aux Arméniens qui accordent des interviews aux médias turcs, s’attendant à ce que leurs déclarations soient rapportées avec précision. Ayant suivi les médias turcs pendant des décennies, je suis en mesure de dire que ceux qui acceptent d’être interviewés par un journaliste turc devraient être prévenus que leurs paroles risquent d’être déformées. Une fois l’interview erronée publiée, il est trop tard pour se plaindre et affirmer que ce n’est pas ce qu’ils ont dit. La meilleure façon de s’assurer qu’un commentaire arménien ne sera pas déformé est de ne pas donner d’interview à un média turc ! 
 
De Harut Sassounian 
The California Courier 
 
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