Harut Sassounian.Les ramifications du procès du catholicossat de Cilicie contre la Turquie


Harut Sassounian.Les ramifications du procès du catholicossat de Cilicie contre la Turquie

  • 13-06-2015 22:58:54   | USA  |  Articles et analyses

Les Arméniens du monde entier ont approuvé le procès intenté par le catholicossat de Cilicie devant la Cour constitutionnelle turque, demandant la restitution de son siège historique situé à Sis, district de Kozan, dans la province d’Adana en Turquie. L’ancienne résidence du siège du catholicossat de la Grande Maison de Cilicie a été confisquée par le gouvernement turc en 1921, à la fin du génocide arménien. 
 
Le catholicos Aram 1er a annoncé que si la Cour turque rejette le procès, le catholicossat a l’intention d’interjeter appel de la décision devant la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui requiert que tous les recours juridiques nationaux soient épuisés, avant qu’elle puisse examiner les appels dans des procès intentés à des États membres du Conseil de l’Europe. Ceux qui doutent que la Turquie accepte les décisions de la Cour européenne doivent savoir que la République de Turquie s’est toujours conformée à tous les jugements, depuis son acceptation de la compétence de la Cour en 1990. 
 
Le procès intenté par le catholicossat est un cas de jurisprudence pour plusieurs raisons : 
 
-- Il cherche à rétablir une justice partielle pour les énormes pertes humaines, matérielles et territoriales subies par les Arméniens pendant le génocide. 
-- Il déplace « les initiatives du Hai Tad [cause arménienne] au-delà de la reconnaissance du génocide arménien, dans la sphère juridique », ainsi que l’a déclaré le catholicos Aram 1er. 
-- Il pourrait établir un précédent pour des revendications juridiques similaires, ainsi que Sa Sainteté en a informé The New York Times le mois dernier : « 100 ans plus tard, j’ai pensé qu’il était grand temps de mettre l’accent sur les réparations… C’est la première étape juridique. Viendra ensuite notre revendication de restitution de la totalité des églises, des monastères, des propriétés ecclésiastiques, et enfin, des propriétés individuelles. » 
 
Malgré les objectifs nobles visés par le procès du catholicossat, une controverse a vu le jour dans la communauté arménienne la semaine dernière, lorsque plusieurs sites et journaux ont rapporté que le catholicossat de Cilicie avait demandé que le gouvernement turc « soit, restitue la propriété du catholicossat à Sis, soit, paye une compensation de 100 millions de livres turques (37 millions de dollars). » Garo Armenian, un responsable important de la communauté arménienne, a écrit un article de mise en garde intitulé Nos sites sacrés ne sont pas des biens personnels. Il a souligné le fait que « le procès intenté par le catholicossat soulève une série de questions importantes qui doivent être immédiatement examinées collectivement avec une rigueur prudente, afin de prévenir tout précédent indésirable. » Il a également appelé le catholicossat à clarifier cette question, si les différents articles n’ont pas reflété avec exactitude le fond du procès. 
 
La semaine dernière, j’ai contacté les représentants du catholicossat pour obtenir une clarification. Un email du père Housig Mardirossian, assistant de Sa Sainteté Aram 1er, m’a assuré que « le procès du catholicossat a un objectif clair : le retour du catholicossat de Cilicie. » 
 
Lorsque j’ai demandé une copie du procès, Payam Akhavan, un avocat international en vue et conseiller en chef du catholicossat, m’a répondu « qu’il était ni possible ni raisonnable à ce stade de faire connaître le contenu total du dossier, car l'affaire est en toujours en attente devant la Cour constitutionnelle turque. » 
 
Pour les questions concernant une compensation financière, l’avocat Akhavan m’a fourni l’explication suivante : « La revendication fondamentale devant la Cour constitutionnelle turque est que la Turquie doit restituer le monastère et la cathédrale de Sainte-Sophie, car le catholicossat détient les droits de propriété sur ces deux monuments, mais aussi en raison de leur importance religieuse pour les Arméniens. La demande ne porte pas sur une compensation, étant donné qu’il ne s’agit pas de biens privés, mais plutôt de biens qui ont une signification religieuse et historique. Toutefois, notre avocat turc nous a informés que selon les lois et les procédures turques, il est nécessaire, en ce qui concerne la revendication portant sur les droits de propriété (et non sur les droits religieux) que le catholicossat se réserve le droit alternatif de réclamer une compensation en fournissant un montant provisoire… Mais je tiens à souligner que le but de la réclamation n’est pas l’obtention d’une indemnisation ; elle porte sur la restitution des biens qui seront utilisés pour des cultes religieux et à des fins culturelles inhérentes. » 
 
J’ai contacté un avocat indépendant à Istanbul qui m’a confirmé que la loi turque requiert bien qu’une valeur spécifique soit attribuée à une propriété faisant l’objet d’un litige. 
 
Cependant, cette question financière étant clarifiée, le catholicossat et les Arméniens en général vont être confrontés à d’autres problèmes importants. Certains d’entre eux sont peut-être un peu prématurés, mais les Arméniens doivent y réfléchir afin d’anticiper les conséquences des éventuelles décisions de la Cour turque ou de la Cour européenne : 
 
1) Que ferait le catholicossat si la Cour turque, ou le gouvernement turc, autorisait la restauration de l’église de Sis et son utilisation pour des cultes religieux, sans rendre le droit de propriété au catholicossat? De plus, que se passerait-il si le gouvernement turc proposait aussi une compensation financière pour réparer le siège de l’Église tout en conservant les droits de propriété ? 
 
2) Au cas où la Cour turque, ou la Cour européenne des droits de l’homme, décidait de restituer les propriétés de l’Église à Sis, est-ce que le catholicossat se réinstallerait dans sa résidence historique ou resterait-il en exil à Antélias, au Liban ? 
 
Compte tenu des récentes ouvertures du gouvernement turc en direction des chefs religieux des Églises assyrienne et syriaque, visant à les laisser revenir s’installer dans leurs sièges historiques en Turquie, alors qu’ils sont en exil temporaire en Syrie, les dirigeants turcs pourraient utiliser le procès arménien comme une couverture vis-à-vis de leurs partisans de la ligne dure, et faire une offre similaire au catholicossat de Cilicie. 
 
Le président Erdogan pourrait faire ce geste pour trois raisons : 
 
1) Devancer une décision de la Cour européenne des droits de l’homme en faveur du catholicossat, et éviter d’établir un précédent juridique pour des poursuites arméniennes ultérieures ; 
 
2) Remporter une victoire de relations publiques dans les cercles internationaux, en particulier après la perte de la majorité parlementaire de son parti, lors des élections législatives de dimanche dernier ; 
 
3) Recueillir les bénéfices économiques des touristes étrangers et arméniens visitant le siège historique du catholicossat de Cilicie à Sis. 
 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
 
 
 
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