Citoyens de la Turquie moderne,

Je m'appelle Takouhie Sisslian, et mon nom de famille devrait suffire pour vous parler de mes origines.

24 avril... Connaissez-vous  ce que représente cette date  pour le peuple arménien ?

Je prendrai votre silence comme réponse.

Je ne vous blâme pas pour votre manque de connaissance, étant donné que dans vos écoles, les nombreuses pages de l'histoire du peuple arménien ne sont même pas incluses dans les manuels scolaires . Cela explique le silence assourdissant de ceux d'entre vous qui ne connaissent pas la véritable histoire de la Turquie et de l'Arménie, et de ceux d'entre vous qui le savent et en ont honte ; si un sentiment aussi noble pourrait  exister dans n'importe lequel de vos cœurs... Après tout, ce n'est pas de votre faute si votre gouvernement vous interdit de nommer le génocide arménien et toute corrélation de celui-ci avec la Turquie ; mais néanmoins, considérez-vous chanceux parce que bien que vous soyez forcés  de vivre avec  un gouvernement qui vous prive de la liberté de pensée, d'expression, de connaissance et, surtout, de la vérité, vous êtes privilégiés de vivre dans votre patrie. Par contre moi, ainsi que  toute la diaspora arménienne que je représente aujourd'hui n'avons même pas eu l’opportunité de jouir de ce grand privilège.

La nôtre est une diaspora qui existe en raison du premier génocide du XXe siècle.

Un génocide qui a été méticuleusement planifié et systématiquement exécuté par le gouvernement turc en 1915 contre le peuple arménien.

Un génocide ordonné par le ministre Talaat Pacha qui, en 1915, a prononcé exactement  ces mots à l'armée turque : « Détruisez complètement tous les Arméniens. Il faut mettre une fin à leur existence, quelles qu’en soient les mesures pénales. Vous devez être sans scrupules, et aucune attention ne doit être accordée à l'âge, au sexe ou à la condition physique. »

Un génocide qui a conduit à la mort de plus d'un million et demi  d’ Arméniens, tuant la majorité de la population de cette époque et les privant de même  de leurs terres.

Un génocide qui a été officiellement reconnu par 29 pays, y compris les États-Unis d'Amérique; mais 29 pays qui n'ont jamais inclu et n'incluent toujours pas la Turquie dans leur déclarations de reconnaissance.

Le génocide des Arméniens n'est pas une simple "redistribution géographique  du peuple", bien que ce soit ainsi qu'il soit défini par les historiens turcs et le gouvernement turc  respectivement ; un gouvernement - qui, pour des raisons géopolitiques - a toujours refusé et refuse toujours de relever la responsabilité de ses crimes contre l'humanité et refuse toujours  de rendre justice au peuple arménien.

Aujourd'hui, le 24 avril 2023, en l'honneur du jour de la commémoration du génocide arménien, je voudrais que vous tous, peut-être pour la première fois, essayiez de vous mettre à notre place et à celle de nos ancêtres. Qu'est-ce que cela fait de savoir que les membres de votre famille ont été forcés à quitter leur maison et qu'ils ont dû les voir s'effondrer alors qu'ils s'éloignaient ? Savoir que vos concitoyens ont été torturés pendant des heures, et parfois des jours et des semaines entières, avant d'être massacrés ? Savoir que chaque endroit, chaque bâtiment, chaque espace qui avait une quelconque signification pour vous a été détruit dans le seul but de vous anéantir ? Savoir que tout ce qui est possible a été fait pour essayer de détruire votre pays, votre culture, vos traditions, mais surtout, votre existence ? Imaginez comment vous vous sentiriez si ces injustices vous étaient arrivées ; votre pays, vos maisons, vos familles, vos amis les plus proches, votre tout. Ne réclameriez -vous pas justice ? Je suis sûre que  vous le feriez, et vous vous battriez chaque jour de votre vie pour l'obtenir. Et s'il y a même une personne qui m'écoute en ce moment et qui n'est pas d'accord avec ma déclaration, eh bien, alors je peux vous dire qu'il me ment ainsi qu’à soi-même. Chacun d'entre vous se battrait, sans jamais se rendre, pour obtenir justice et pour s'assurer que les coupables du massacre que vos ancêtres ont subi reconnaissent leur acte et s'excusent. C'est exactement la raison de ma requête aujourd'hui, que vous comprenez maintenant et, d'une manière ou d'une autre, j'espère également que vous y adhérerez. Malheureusement, l'histoire ne peut pas être revisitée  et les blessures gravées dans le cœur de chaque Arménien ne peuvent pas être guéries ou effacées ; mais la justice peut et doit être obtenue pour chaque âme qui a été perdue, pour chaque église qui a été détruite, pour chaque Arménien qui n'est pas né et ne naîtra pas dans sa patrie …Et, pour chaque fois qu'un Arménien voit du fil de fer barbelé autour de ce qui était autrefois sa patrie, pour chaque enfant qui n'a jamais été en mesure de découvrir ce que la vie lui réservait, pour chaque acte de violence, pour chaque larme et pour chaque blessure, la justice doit être obtenue.

Aujourd'hui, en l'honneur de tous les Arméniens qui sont décédés injustement, j'aimerais que vous réfléchissiez et admettiez les erreurs commises par vos prédécesseurs, afin qu'ensemble nous puissions écrire une nouvelle page de l'histoire, la bonne : celle de la vérité . Après exactement 108 ans de déni, je suis toujours capable de vous demander d'accorder la justice aux droits de l'homme et à l'humanité, croyant que cette fois, vous m'écouterez vraiment, moi et mes concitoyens, parce que nous savons que vous êtes capable de faire ce qui est juste.

Vous pouvez démontrer que vous avez appris des erreurs de vos prédécesseurs.

Vous pouvez faire preuve d'intégrité et de conscience envers le peuple arménien et envers vos actes.

Vous pouvez changer l'idée préconçue, qu'en raison des erreurs de vos prédécesseurs, d'autres ont, de votre pays.

Vous pouvez obtenir justice pour le peuple arménien ; et puisque vous ne changerez jamais l'histoire, aujourd'hui, vous pouvez au moins changer l'avenir.

TAKOUHIE SISSLIAN. 24 avril 2023

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